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Pénurie de quoi au juste?

Par Marie-Noelle Brousseau le 2019/09
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Pénurie de quoi au juste?

Par Marie-Noelle Brousseau le 2019/09

La locution « pénurie de main-d’œuvre » provoque toujours chez moi un sourire en coin.

Depuis quelques années, les médias pointent cette situation : le manque de main-d’œuvre crée une surcharge de travail pour les employés en poste dans les domaines de la santé et de l’éducation. Et comment peut-on bien faire son travail quand on ne peut pas prendre le temps, quand on n’a pas le coup de main (les effectifs nécessaires) pour bien le faire? Pendant que plusieurs travailleurs de ces secteurs se retrouvent en épuisement professionnel et se réorientent, les jeunes hésitent à embrasser ces professions : « On devrait travailler pour vivre et non pas vivre pour travailler. » Qui ne leur donnerait pas raison?

Je m’attarderai peu à la pénurie d’employés dans la fonction publique, tout simplement parce que grâce aux syndicats, non seulement ont-ils une voix pour faire entendre leurs revendications, mais ils ont aussi ce qu’on pourrait appeler « un minimum de bonnes conditions de travail » : ancienneté, échelle salariale, vacances, etc.

Vous avez dit temps partiel?

Dans un dossier sur la pénurie de main-d’œuvre paru dans Les Affaires1, on apprend que 35 % des postes vacants ne requièrent aucune scolarité minimale et que 23 % ne demandent qu’un diplôme d’études secondaires ou l’équivalent. Autrement dit, la majorité des postes vacants sont des emplois à salaire minimum et, dans ce type d’emploi, les conditions de travail sont loin d’être alléchantes.

De plus en plus, dans le domaine du commerce de détail, les postes à temps plein se font rares. Probablement que pour l’employeur, le statut de temps partiel est plus pratique et économique : en cas de baisse d’achalandage, on réduit les heures de l’employé (et on évite des coûts), les vacances accordées sont plus courtes (et on évite des coûts), les augmentations de salaire sont moindres (et on épargne encore). Mais du point de vue des travailleurs? Qui a envie de jongler avec les conflits d’horaire de deux emplois à temps partiel pour atteindre un revenu équivalent au seuil de la pauvreté? Sans accumuler d’avantages (vacances et augmentations)? Sans possibilités d’avancement?

Dans les médias, on entend des spécialistes qui suggèrent aux employeurs de changer de stratégie de recrutement, de fidéliser leurs employés. Mais personne n’a encore mentionné qu’il faudrait peut-être d’abord revaloriser ces postes : tous les consommateurs ont besoin de commis, de caissières, de conseillers/vendeurs qui subissent souvent les humeurs et les caprices des clients en conservant leur calme et en restant polis. (La majorité des employés qui travaillent avec le public mériteraient de se faire décerner un diplôme en psychologie, mais ça, c’est une autre histoire.) Personne ne mentionne que même si ces emplois ne demandent pas de « connaissances » ni de « compétences » spécialisées, les tâches à effectuer peuvent être physiquement et mentalement exigeantes. Ce sont des emplois ingrats.

Quand j’entends « stratégies de recrutement », j’ai envie de répondre : offrez tout simplement des postes à temps plein, un environnement de travail respectueux et une conciliation travail/vie personnelle honnête. Quand j’entends « fidéliser les employés », j’ai envie de répondre : soulignez leurs bons coups, offrez-leur des occasions de se sentir valorisés dans ce qu’ils font de mieux et offrez-leur des bonus/augmentations en dehors des hausses de salaire obligatoires prévues par le gouvernement pour atteindre le fameux 15 $ l’heure (qui suit tout simplement l’inflation). Parce que derrière ces emplois ingrats, il y a des gens qui méritent tout simplement d’être considérés comme des humains.

1. Olivier Schmouker, « Tout, tout, tout sur la pénurie de main-d’œuvre au Québec!», Les Affaires, 13 mars 2019,
www.lesaffaires.com/blogues/l-economie-en-version-corsee/tout-tout-tout-sur-la-penurie-de-main-d-oeuvre-au-quebec/608829

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