
Le Centre d’analyse des politiques de l’Université Laval constate qu’à ce jour 31 % (77) de toutes les promesses caquistes ont été réalisées en tout ou en partie et que, dans le domaine de l’éducation et de la recherche, ce pourcentage grimpe à 50 %2. Dans cette course frénétique à la tenue de promesses, un engagement en suspens retient notre attention : « l’abolition des élections scolaires et des commissions scolaires, qui seront transformées en centres de services ».
Des chiffres
De Kamouraska à Matane, cinq commissions scolaires (CS) se côtoient sur autant de territoires distincts et exclusifs et scolarisent environ 33 000 élèves, qui franchissent les portes de 165 écoles ou centres de formation. Au total, cinq présidentes et présidents siègent à autant de conseils des commissaires qui regroupent 65 commissaires.
S’entrechoquent dans ces chiffres deux aspects qu’on peine à démêler et que les discours omettent, volontairement ou non, de clarifier. Une commission scolaire comprend une composante administrative avec des gestionnaires (directrices et directeurs d’école, cadres administratifs) et une composante politique faite d’élues et d’élus. À l’intersection de ces composantes se tisse une zone d’influence mutuelle incluant de façon assez exclusive et continuelle le conseil des commissaires et les cadres de la commission scolaire. Se trouvent fréquemment omises de cette zone les directions d’écoles et de centres, à moins qu’un dossier épineux ne surgisse.
La promesse caquiste provoquerait donc la disparition de cette zone d’influence mutuelle. La branche administrative des commissions scolaires et des écoles se retrouverait amputée, pourrait-on penser, de l’interaction avec le politique. La CAQ va plus loin en indiquant vouloir du même coup transformer la branche administrative en un centre de services dédiés aux écoles.
Des précisions
Ici, deux précisions s’imposent : dire que la branche administrative des commissions scolaires agit déjà comme un centre de services dédié aux écoles n’est pas si bancal. À cet égard, Jean-Pierre Proulx, qui a abondamment alimenté la littérature scientifique sur les commissions scolaires, disait en 2012 que les CS offrent aux écoles divers services : des conseillers pédagogiques, des services de gestion pédagogique (confection informatisée des horaires, compilation et impression des bulletins des élèves, etc.), des services administratifs (comptabilité budgétaire, paie des employées, etc.) et le service de transport des élèves3. Voilà qui soutient l’idée que les gestionnaires des CS travaillent déjà dans le cadre d’un centre de services orienté vers les écoles. Le pouvoir hiérarchique actuellement en place ne reflète toutefois pas cet état alors que la direction générale est le supérieur immédiat des directions d’école. Deviendraient-elles les clientes des centres de service promis et non plus les mandataires d’une direction générale?
La deuxième précision concerne l’idée répandue que le pouvoir politique dans une CS soit complètement et uniquement détenu par le conseil des commissaires. Ce n’est pas le cas. Cinq instances laissent une place primordiale à une participation des parents : d’abord chaque école forme un conseil d’établissement composé de parents élus en assemblée générale, puis un comité de parents est institué dans chaque CS auprès duquel le conseil des commissaires doit prendre avis sur une quinzaine de sujets, pareillement se forme un comité consultatif des services aux élèves handicapés et aux élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage auquel siégeront des parents. Un comité consultatif de transport regroupe également des parents d’élèves. En dernier lieu, un organisme de participation des parents peut exister dans chaque établissement scolaire. Sachant cela, on peut conclure qu’au Bas-Saint-Laurent, près d’un millier4 de parents peuvent siéger à divers comités et s’impliquer dans le système scolaire (en dehors du conseil des commissaires). Arguer que la disparition des postes de commissaires scolaires se conclurait par un important déficit démocratique ignore cette donnée.
On le constate : parler de l’abolition des « commissions scolaires » sans nuancer cette idée est un raccourci simpliste. Pour illustrer les ramifications de ce réseau, voici une question : la hausse de la diplomation dans un territoire donné relève-t-elle des moyens mis en place par une commission scolaire (la branche politique? ou l’administrative?) ou par une école? On évite un écueil en répondant avec rectitude politique (!) qu’elle découle de la combinaison de tout cela ou simplement de tout un village. Évaluer les impacts de la disparition d’une commission scolaire relève donc d’un tour de force.
Des enjeux
Chacun des groupes intéressés a des arguments pour camper sa position en fonction de ses enjeux associatifs respectifs. Certains diront qu’il faut une vision d’ensemble pour y arriver (ce à quoi seule une commission scolaire pourrait prétendre), d’autres que ce n’est que lorsque les décisions se prennent près de l’action (dans l’école) qu’elles donnent les meilleurs résultats, ce qui renforce l’importance de conférer des pouvoirs décisionnels et financiers plus grands à l’école au détriment de la commission scolaire. C’est la revendication autonomiste des directions d’écoles. Pour les syndicats, passer d’un seul interlocuteur (la CS) à de multiples interlocuteurs (chaque direction d’école) exigera des ajustements que leurs ressources limitées rendront impossibles. Pour le parent coincé dans une dynamique de manque de services pour son enfant ou pris par l’incompréhension de la direction d’école à l’égard d’un problème scolaire, la perte, par la commission scolaire, d’une autorité sur les cadres d’établissement sera synonyme de la disparition d’un recours pour se faire entendre ou pour faire entendre raison à la directrice ou au directeur de l’école de son enfant.
Aux yeux de la population, les com-missions scolaires n’ont pas été sans reproches. Récemment, un jugement les obligeait à restituer un montant de 153,5 millions aux parents en raison de frais scolaires trop élevés5. Les médias ont fait leurs choux gras de cette situation, et le peuple s’en souvient. Bref, de quoi alimenter la sociologie de l’action publique en éducation!
Abolir les commissions scolaires? Gageons qu’avec l’intérêt du quidam pour ce sujet, on en viendra à regarder la caravane passer sans émettre un son. Proulx rappelait avec sapience en 2012 un élément crucial sur la place du politique dans l’éducation : « Mon point de départ est de constater une donnée structurelle majeure de la culture du milieu de l’éducation, à savoir son caractère apolitique5. »
Et si on se fait devin? La réalisation de cette promesse par la CAQ se fera à l’emporte-pièce dans un empressement malsain. Reproduire avec les commissions scolaires le modèle de gouvernance des CISSS peut tenter le gouvernement. Si tel est le cas, deux éléments seront à suivre : la place des parents dans ce système et les nouveaux pouvoirs du ministre. On sait que le citoyen n’est pas vraiment convoqué à la table des conseils d’administration des CISSS (un seul « usager » sur huit membres). On connaît aussi l’étendue des pouvoirs dont s’est doté le ministre de la Santé au sein de son système : un droit de veto sur moult décisions, sinon toutes!
Alors les commissions scolaires qu’ossa donne? Attention ici au danger de se faire enfirouaper et à l’envie d’aller « à droite toute! ».
1. En référence au monologue d’Yvon Deschamps.
2 Le Centre d’analyse des politiques publiques (CAPP) de l’Université Laval a développé la méthodologie du Polimètre permettant d’extraire les promesses d’une plateforme électorale, de faire les recherches pour documenter l’action gouvernementale en lien avec les promesses, d’apprécier leur degré de réalisation, de mettre à jour les verdicts en temps réel de manière fiable et de les rendre accessibles directement en ligne. www.polimetre.org.
3 « L’abolition des commissions scolaires vue par Jean-Pierre Proulx »,
À babord, février-mars 2012, www.ababord.org.
4. Chaque conseil d’établissement et chaque organisme de participation des parents dans une école doivent laisser place à quatre parents. Rappelons qu’il y a 165 écoles pour les quatre CS du BSL.
5. Jugement dans l’action collective portant sur les frais pour des services éducatifs et pour l’achat de matériel scolaire : ententefraisscolaires.collectiva.ca