
Les élections fédérales auront lieu le 21 octobre 2019. Les sondages estivaux suggèrent que le Parti conservateur (PCC) d’Andrew Scheer aurait plus de chance de former le prochain gouvernement que le Parti libéral (PLC) de Justin Trudeau. Une campagne électorale peut toutefois réellement modifier les intentions de vote : troisième au début de la campagne de 2015, le PLC a finalement formé un gouvernement majoritaire avec 184 sièges (sur 338) et près de 40 % des voix. Quelles sont les forces en présence à l’été 2019, quelques mois avant le scrutin?
Les aspirants premiers ministres
Andrew Scheer (40 ans) a fait ses classes auprès de Preston Manning du Parti réformiste, un regroupement populiste dissous en 2000 pour être remplacé par l’Alliance canadienne, disparue en 2003 pour faire place au PCC, épuré de sa mouvance plus modérée. Scheer a aussi travaillé pour l’Alliance canadienne. Il a coiffé au final son adversaire Maxime Bernier dans la course à la chefferie de 2016. Sur le plan économique, il défend le libre marché. Il s’est opposé à l’Accord de Paris sur le climat et milite contre la taxe carbone. Sur le plan moral, ce fervent catholique a des appuis auprès des chrétiens évangéliques. Partisan du mouvement provie, Scheer s’engage néanmoins à ne pas rouvrir le débat sur l’avortement, mais il veut faciliter le dépôt de projets de lois privés au parlement, ce qui ouvre la porte aux dérives réactionnaires de certains de ses députés. À l’été 2019, le PCC serait crédité de 34 % des intentions de vote, juste assez pour former un gouvernement minoritaire.
L’aura de Justin Trudeau (47 ans) du PLC aura pâli au cours des derniers mois, en raison des traits de sa personnalité qui l’avaient pourtant bien servi lors de la campagne de 2015. Plus versé sur la forme que sur le contenu (il est perçu comme étant superficiel), il a commis plusieurs erreurs stratégiques. Se positionnant comme écologiste, il n’a pas respecté ses engagements concernant la réduction des émissions de gaz à effet de serre et il a nationalisé l’oléoduc Trans Mountain. L’affaire SNC-Lavalin a contribué à le déstabiliser davantage, au moment où ses relations diplomatiques avec les grandes puissances sont très mauvaises, de l’avis d’un ancien candidat du PLC, le politologue Jocelyn Coulon. En outre, la grande pauvreté a reculé au Canada durant les quatre dernières années et des ponts ont été établis avec les nations autochtones. À l’été 2019, 32 % des électeurs choisiraient le PLC.
Le Tiers État
Le Nouveau Parti démocratique (NPD) est en difficulté. Son chef Jagmeet Singh (40 ans), né au Canada et fils d’immigrants pendjabis, incarne une gauche multiculturaliste et urbaine. Il possède de grandes qualités, mais il ne réussit pas à rallier la gauche. À l’été 2019, le NPD rejoindrait 16 % des électeurs. Au Québec, seul Alexandre Boulerice pourrait conserver son siège montréalais. Guy Caron, député bas-laurentien, devra compter sur des adversaires bloquiste et conservateur forts pour juguler l’avance de la candidate libérale et se faufiler en tête avec moins du tiers des voix.
Le Bloc québécois (BQ), impulsé par Yves-François Blanchet (54 ans), pourrait profiter du sentiment de culpabilité des souverainistes qui ont déserté le Parti québécois lors des élections provinciales de 2018. En outre, maintenu sous la barre des 20 % au Québec, un nombre de sièges comparable à celui de 2015, dix, serait une performance honorable. Uni et motivé, ce noyau de souverainistes pourrait défendre avec vigueur les intérêts du Québec à Ottawa, à condition qu’il ne flirte pas trop avec la droite identitaire québécoise.
Le Parti vert (PVC) d’Elizabeth May (65 ans) est susceptible de sortir gagnant de cette campagne, alors que la répartition régionale de ses 11 % d’appuis pourrait lui procurer huit sièges, comparativement à un seul en 2015. Le résultat des récentes élections européennes confirme une tendance lourde qui se dessine en faveur des partis écologistes.
Le Parti populaire (PPC) du libertarien Maxime Bernier (56 ans) pourrait séduire la frange des électeurs la plus à droite du PCC, nuisant à ce parti dans quelques comtés. Avec 2 % d’appuis à l’échelle nationale, Maxime Bernier serait confiné dans son fief beauceron.
Vers un gouvernement minoritaire…
Au cœur de l’été 2019, rien n’est joué quant au choix du parti appelé à gouverner le Canada, mais la configuration des forces en présence rend probable l’élection d’un gouvernement minoritaire. Un gouvernement minoritaire du PLC pourrait trouver des appuis ponctuels ou structurels au NPD et au PVC, ce qui consacrerait une gouverne de centre gauche. Un gouvernement minoritaire du PCC pourrait séduire pour un temps le BQ (l’ex-chef bloquiste Michel Gauthier appuie d’ailleurs le PCC, comme plusieurs ex-bloquistes), mais le conservatisme moral d’Andrew Scheer, peu adapté aux valeurs québécoises, aurait tôt fait de miner ce mariage de raison.