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Plus ça change, plus c’est pareil?

Par Justin Dubé le 2019/03
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Plus ça change, plus c’est pareil?

Par Justin Dubé le 2019/03

La victoire des caquistes de François Legault en octobre dernier n’a pas été une grande surprise, les sondages avaient placé le parti en tête des intentions de vote au cours des mois précédents. Seule l’intensité de la déconfiture des « vieux partis » et de la montée des solidaires a réellement provoqué l’étonnement. Beaucoup ont déjà analysé ce renouveau de la scène politique québécoise qui a mis fin au clivage fédéraliste/souverainiste. Toutefois, se rappeler d’autres grands clivages politiques de notre passé permet de mettre en perspective les récentes joutes politiques.

Au début du XIXe siècle rivalisaient au Bas-Canada deux grands camps politiques : les bureaucrates, qui appuyaient le pouvoir colonial, et les patriotes, qui souhaitaient des réformes démocratiques. Ce clivage prit fin avec l’échec des rébellions de 1837-1838 et survint un nouvel ordre politique où s’affrontèrent, globalement, des conservateurs et des libéraux modérés assez proches idéologiquement, à l’exception bien sûr des quelques éléments plus extrêmes qui militaient dans leurs marges (ultramontains, rouges, etc.). Cette configuration ne s’effrita réellement qu’avec la montée du Parti québécois dans les années 1970. Toutefois, l’échec du référendum de 1995 plongea le grand parti souverainiste dans une profonde crise interne, ce qui permit aux libéraux de conserver le pouvoir pendant près de 15 ans. Et voilà aujourd’hui une CAQ dominante, un PLQ affaibli et un mouvement souverainiste divisé et impuissant.

Caquistes et fédéralisme

Au final, le Parti québécois avait repris, dans un contexte très différent, le projet indépendantiste des patriotes radicaux : tant les péquistes que les patriotes se battaient contre un ordre constitutionnel jugé défavorable pour leur société. La CAQ s’inscrit quant à elle dans la logique des libéraux et des conservateurs d’antan : non pas qu’elle en reprenne les idées, mais son rôle dans la nouvelle composition politique est similaire. La proximité idéologique des caquistes et des libéraux actuels est manifeste, même si des distinctions d’importance existent – notamment en ce qui a trait au nationalisme. Par exemple, ils partagent tous deux un fédéralisme de centre droit. Les vieux partis conservateur, unioniste et libéral étaient également similaires de bien des façons, et s’avéraient passablement « fédéralistes de centre droit ». Cette comparaison implique évidemment d’énormes raccourcis. Mais ces similitudes méritent tout de même d’être notées.

La Révolution tranquille fut une sorte de période transitoire. C’est grâce à elle que le débat « fédéraliste/souverainiste » put prendre toute la place. De la même manière, l’agonie du Parti québécois et l’hégémonie libérale des dernières années ont constitué une forme de transition entre deux mondes. Ces périodes de changements sont toutes deux associées à des personnages emblématiques. Par exemple, Daniel Johnson, ce duplessiste qui épousa le nationalisme et l’étatisme modernes, fut une figure transitoire de choix dans la Révolution tranquille, alors que Jean Charest a servi de trait d’union entre l’ère du militantisme référendaire et celle de la gestion plus ou moins calme des affaires de la province.

Rompre ou « survivre »

L’épopée patriote et l’aventure péquiste étaient caractérisées par une concentration des énergies autour d’une contestation de l’autorité coloniale ou fédérale en place. Les débats les plus vifs portaient sur la même interrogation : faut-il rompre avec l’ordre politique existant; et si oui, comment? L’époque libérale-conservatrice, associée à la « survivance », ne partageait pas cette obsession. Au contraire, le cadre provincial canadien était globalement accepté par la majorité des acteurs politiques. Les enjeux identitaires, économiques ou sociaux pouvaient parfois secouer, voire fragiliser les structures constitutionnelles, mais sans qu’aucune action subversive soit réellement entreprise. Les politiques actuelles du gouvernement québécois, semble-t-il, s’inscrivent parfaitement dans une telle logique.

Il ne s’agit certes que d’une comparaison sommaire et imparfaite. Mais il n’en reste pas moins que le Québec est une société qui n’a jamais été indépendante. Il est donc normal qu’à certaines périodes de son histoire se pose avec davantage d’acuité la « question nationale ». Tout comme il est naturel qu’en d’autres occasions, l’enjeu de son statut politique soit plutôt écarté au profit d’une gestion relativement tranquille de l’État provincial. L’avenir dira si cette dernière élection a bel et bien ouvert une parenthèse politique de cette nature. Mais, l’histoire ne se répétant pas, il ne serait pas sage de tenter de prédire avec exactitude ce que les prochaines décennies nous réservent. Si les Québécois le désiraient, le débat sur l’indépendance nationale pourrait revenir rapidement à l’ordre du jour. À chacun de choisir : se battre pour que ce débat demeure enterré pour un autre siècle ou militer pour qu’il soit maintenu en vie jusqu’à « la prochaine fois ».

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