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Le free c’est sérieux … en ostie !

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Le free c’est sérieux … en ostie !

Le free jazz afro-américain apparaît aux États-Unis au tout début des années 1960. Musique de révolte contre l’exploitation des noirs américains, le free jazz, c’est de l’agressivité sonore2 entièrement assumée, une gifle au visage des oppresseurs blancs d’Amérique. C’est dans la foulée de ce mouvement d’insurrection que le Quatuor du Jazz libre du Québec se formera pour occuper la scène culturelle de 1967 à 19753 en participant à des événements, aujourd’hui mythiques, comme L’Osstidcho en mai 1968 au théâtre Quat’Sous à Montréal ou au Festival de Musique contemporaine du lac de Côme en Italie en 1973 à titre de représentant du Canada (!). Pour nous replonger dans cette période de forte agitation sociale, artistique et culturelle, nous sommes allés à la rencontre d’un des musiciens encore bien vivants du Jazz libre, Jean-Guy Poirier. L’idée n’était pas de faire l’histoire du Quatuor du Jazz libre du Québec, mais de rencontrer un humain encore bien free.

Saint-Léandre (petit village derrière Matane), le 27 janvier 2019. Directement dans sa cuisine, nous sommes là. En présence de son chien et de son chat que nous ne verrons jamais, nous réalisons un entretien particulièrement décousu, comme le free peut l’être d’ailleurs, mais bien ficelé, avec Jean-Guy, un des batteurs du Quatuor du Jazz libre du Québec. Il a 82 ans.

C’est en 1953 que Jean-Guy Poirier amorce son parcours de musicien. Tout d’abord, dans des clubs de Montréal, des trous comme il le dira, à jouer des tounes de blues, du jazz blanc bien propret et du sud-américain pour faire remuer les danseurs. Durant les années 1960, c’est la rencontre avec les membres fondateurs du Jazz libre, Jean Préfontaine et Yves Charbonneau, eux aussi musiciens dans les clubs de Montréal. Comme ses pairs, Jean-Guy est écœuré de jouer de la musique manufacturée pour faire rêver les autres. Il décide, avec les membres du Jazz libre, de cesser de jouer pour se consacrer à inventer et faire des sons, du bruit qui déménage, autrement dit. C’est à la Casanou en 1970-1971 que le Jazz libre s’exécute les premières fois. « Dorénavant, c’est la fin des compromis, plus de trois notes qui se suivaient et s’apparentaient à un refrain ou une mélodie, c’était déjà une toune à mes yeux, alors on stoppait tout. Au début, ce fut difficile de se sortir des structures rythmiques et harmoniques standards, mais on y est arrivé à force de bûcher. Nous expérimentions toutes sortes d’amorces pour nos tounes de free : des volutes de fumée de cigarettes ou encore des enregistrements de coassement de grenouilles ». Jean-Guy affirme avoir pogné de super buzz en jouant, « comme si j’avais été sur l’acide », dira-t-il. « Dans le free, c’était sérieux en ostie. Avant de jouer, on demandait aux spectateurs de ne pas nous parler, de ne pas nous déranger, car il faut toujours un maximum de concentration. »

Jean-Guy quitte le Jazz libre en 1973 à la fin d’une tournée de vingt-deux jours en Italie. Il retrouvera Yves Charbonneau, un des fondateurs du quatuor, à Matane, à la fin des années 1980. Un groupe éphémère de neuf musiciens se formera pour rejouer des standards de jazz, La bande à Régis.

Pour clore, laissons la parole à Jean-Guy Poirier : « Le problème avec certains musiciens, c’est qu’ils n’écoutent pas. Si je fais bing bing bing bambam boum, je m’attends à une réponse. Et si elle ne vient pas, c’est qu’il n’y a pas d’écoute. En musique, le silence est aussi important que la note. »

1. Les auteurs sont trois musiciens du GGRIL (Grand groupe régional d’improvisation libérée).

2. Philippe Carles et Jean-Louis Comolli, Free Jazz. Black Power, Champ Libre, 1971, 256 p.

3. Éric Fillion, « Jazz libre : musique-action ou la recherche d’une praxis révolutionnaire au Québec (1967-1975) », Labour/Le travail, no 77, 2016, p. 93 à 120.

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