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Démoniser les syndicats

Par Charles Hachey le 2019/03
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Démoniser les syndicats

Par Charles Hachey le 2019/03

La vie est un cycle. Rien n’y échappe, pas même la politique qui relance souvent les mêmes discours. Cette fois, c’est le changement scandé par Duplessis qui revient sous le visage du parvenu à Legault. Il a troqué l’électrification des régions contre le déploiement Internet haute vitesse. Même la démonisation des syndicats a pointé le bout de son nez à travers certains discours. Les techniques conservatrices et réactionnaires basées sur la peur et l’économie effritent d’année en année le filet social — dont on est pourtant si fiers lorsqu’on parle avec nostalgie de la Révolution tranquille. Pas étonnant que la grève de la SAQ attise autant les passions. Le SEMB-SAQ1, dirigé par la CSN, s’est démarqué par ses actions autonomes et son militantisme. Ça ne plaît pas à ceux qui souhaitent le statu quo et aux petits patroneux en tout genre. D’anciens briseurs de grève — remémorons-nous les 10 ans de lockout du Journal de Montréal où l’on a vu un fringuant Richard Martineau franchir une ligne de piquetage — cassent du sucre sur le dos des employés de la SAQ, s’insurgent contre les moyens de pression, mais se demandent paradoxalement comment des employés du secteur privé ne gagnent pas plus. Or, pour obtenir gain de cause en matière de stabilité d’emploi ou de salaire, il faut des moyens de pression et un rapport de force soutenu. Pendant ce temps, le gros Létourneau, à la tête de la CSN, applaudit le Conseil du patronat du Québec (CPQ) pour ses 50 ans2.

Décroissance syndicale

Le déclin des syndicats accélère la privatisation. La FTQ et la CSN ont récemment perdu plusieurs centaines de membres. En 2015, Le Devoir rapportait les résultats d’une étude du Fonds monétaire international qui liait augmentation des inégalités et déclin syndical : « Selon [l’]étude qui couvre la période 1980-2010, les syndicats permettent d’abord de freiner les inégalités en assurant une distribution des salaires plus équitable et en faisant pression sur les autorités pour s’engager dans cette voie. Mais surtout, une faible syndicalisation réduit la capacité de négociation des salariés sur leur rémunération, au bénéfice des actionnaires et des plus hauts revenus. […] « Si la désyndicalisation affaiblit les revenus pour les salariés du milieu et du bas de l’échelle, cela augmente nécessairement la part des revenus perçus par l’encadrement des entreprises et par les actionnaires »3 ».

Sans cerner tous les enjeux, les billets d’humeurs et autres chroniqueurs ouvrent de faux débats et prennent l’habitude de frapper sur les plus faibles en recourant aux sophismes et à la spéculation. Ils s’insurgent contre le fait que certains employés du secteur public gagnent moins que « des placeurs de bouteilles ». Le mépris flagrant pour les employés de la SAQ, à travers une tentative de démonisation des syndicats, suscite la colère. Le rôle des syndicats et de l’État est de placer un baromètre et d’élever les standards relatifs aux conditions de travail. Or, le démantèlement des syndicats donne lieu à l’opération inverse. Par exemple, dans plusieurs CHSLD sous gouvernance privée, aucun standard ne fixe le salaire des employés. Il s’agit plutôt de maximiser les profits dans un minimum de temps : déshumaniser la situation la plus humaine à l’automne de la vie, voilà ce que nos grands entrepreneurs ont trouvé de mieux à faire, entre deux rapports incestueux de lobbying avec l’État.

Il faut constamment faire plus avec moins. En finançant le privé, on lui donne les moyens d’exploiter au rabais ses employés. Le néolibéralisme et sa rancœur des syndicats et de l’éducation populaire gangrènent le système. La démocratie ne peut exister dans la contemplation du pouvoir. Il faut exercer le pouvoir et non l’observer, disait Michel Chartrand.

Alimenter les débats

Chaque fois qu’on bouscule l’ordre établi, on entend les mêmes voix obscurantistes dissonantes accabler les travailleurs et les travailleuses. Pourtant, affronter le statu quo et signaler les problèmes sont des actions qui doivent être faites pour régler et évacuer certaines difficultés. Le confort et l’indifférence nourris par la servitude volontaire, la société du spectacle, les lobbies, l’omniprésence de l’art inoffensif et bon enfant étouffent les débats sociaux. La grève comme les manifestations sont des outils qui doivent prendre plus de place. En fait, ce sont des moyens de communication. Les rendre muets est un crime contre la liberté.

L’éducation populaire permet aux employés de s’informer et d’agir. Sur le site du syndicat de la SAQ, on apprend qu’un comité de négociation est mis en place pour discuter de problèmes que vivent les employés. Impliquer ses employés dans les sphères de leur travail permet de prendre les problèmes de front, mais surtout de faire naître un sentiment d’appartenance et une fierté qui vont créer une synergie entre les employés. Le syndicat n’est là que pour imposer une discussion d’égal à égal entre salariés et patronat. Ça prend du temps et de la bonne foi pour négocier. On devrait s’inspirer du cas de la SAQ. Appliquer et privilégier l’action autonome. Défendre ses droits, se battre pour de meilleures conditions ne devrait pas être démonisé par des pseudo-penseurs à deux cennes. Mépriser les employés, les techniques syndicales, attaquer chaque moyen de pression de manière virulente, propager la peur est une technique non seulement hypocrite et indécente, mais surtout populiste et conservatrice. La colère dirigée vers les employés de la Société des alcools est un symptôme classique. La colère doit être redirigée au bon endroit et attaquer ceux qui nourrissent la paranoïa collective et qui sont un réel frein au développement social.

1. Syndicat des employé(e)s de magasins de bureaux de la SAQ

2. 50 ans du Conseil du patronat. Prospérer ensemble, 2019, https://www.cpq.qc.ca/workspace/uploads/author-uploads/cahierspecial50anscpq.pdf?utm_source=pre&utm_campaign=short-url&utm_medium=organic&utm_content=cahier50

3. Agence France-Presse, « Le déclin des syndicats accentue les inégalités », Le Devoir, 6 mars 2015, www.ledevoir.com

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