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La diversité contre l’égalité

Par Raymond Beaudry le 2019/01
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La diversité contre l’égalité

Par Raymond Beaudry le 2019/01

Walter Benn Michaels, dans son livre La diversité contre l’égalité1, analyse la question de la diversité comme valeur culturelle centrale de la société américaine. L’on se souviendra que le chanteur afro-américain, Moses Sumney, a annulé son concert dans le cadre du Festival de jazz de Montréal pour protester contre le manque de diversité du spectacle SLĀV. En appuyant la mobilisation contre SLĀV, Sumney intervenait en bon États-unien de la gauche bien-pensante (ou en impérialiste culturel) en faisant de la diversité une valeur universelle.

Dans un entretien accordé au Mouton Noir2, Webster (Aly Ndiaye) souligne l’importance d’enseigner l’histoire des NoirEs et des Autochtones pour ne pas oublier leur contribution historique ni l’esclavage et rendre plus visible la diversité de la culture québécoise. Il faudrait préciser que si les NoirEs font partie de la diversité de la culture québécoise comme d’autres communautés culturelles, les Autochtones ne peuvent être réduits à un groupe faisant partie de la diversité culturelle puisqu’ils revendiquent une souveraineté politique pour préserver leur autonomie à titre de peuple fondateur.

Si la question identitaire de la diversité des communautés culturelles et politiques est défendue à juste titre, elle met bien souvent au banc des accusés la communauté québécoise blanche qui dans toutes les situations serait dominante. Les liens de solidarité entre celles et ceux qui subissent de l’oppression deviennent alors suspects comme dans le cas des femmes blanches qui se mobilisent avec les femmes noires pour revendiquer l’égalité et s’opposer à la domination économique des femmes par des hommes. En faisant des communautés culturelles les seules victimes des systèmes d’oppression, la gauche bien-pensante adhère à l’idée que les individus victimes des inégalités sociales et économiques appartenant à la communauté blanche seraient « trop pauvres pour intéresser la droite, trop blancs pour intéresser la gauche3 ».

Contre l’exploitation

Walter Benn Michaels cherche à montrer que la diversité ne conduit pas nécessairement à abolir les inégalités économiques et le racisme, à remettre en question le pouvoir des élites, ni à soutenir les luttes syndicales. Bref, l’idéologie de la diversité participe à l’organisation du monde du travail par des pratiques de management où « les questions sociales fondamentales portent sur le respect des différences identitaires et non sur la réduction des différences économiques ». Et Michaels rappelle que le combat du mouvement des Black Panthers aux États-Unis ne portait pas sur les différences ethniques, mais sur l’exploitation de l’ensemble des travailleurs qu’ils soient blancs, noirs, chinois, indiens, hispaniques. Une lutte contre l’exploitation capitaliste qui était menée au nom du socialisme. Aujourd’hui, dans ce qui est désormais commun d’appeler le néolibéralisme, l’idéologie de la diversité sert à propager le rêve états-unien et le pouvoir de l’argent.

L’exemple de la lutte et de l’insoumission des francophones en Ontario, tout comme à une autre époque la révolte des « nègres blancs d’Amérique4 », montre bien la vitalité de cette communauté face aux inégalités sociales et économiques. Celle-ci s’oppose à la conception de la diversité (synonyme de multiculturalisme) qui caractérise l’identité canadienne défendue par Doug Ford : pour lui, les Franco-Ontariens ne seraient qu’une minorité culturelle parmi tant d’autres dans la diversité canadienne. Cette structure politique se nourrit de l’héritage du colonialisme britannique que les pouvoirs politiques canadiens-anglais imposent aux communautés francophones en tolérant leur présence. La diversité évacue de la société canadienne l’égalité des peuples fondateurs (amérindien, anglophone et francophone) et toute la question de la reconnaissance d’un projet politique.

Pacte et diversité

Le Pacte pour la transition proposé par Dominic Champagne réussit à échapper au terreau glissant de la diversité en faisant appel à la mobilisation de toutes les classes sociales pour les inviter à s’engager dans la réduction de leur empreinte écologique à la hauteur des capacités de chacun tout en étant conscient des inégalités sociales et économiques. Le Pacte, au-delà des actions individuelles, propose à l’ensemble des acteurs sociaux, communautaires et économiques de coordonner les luttes, de surmonter les divergences politiques tout en précisant que la solution ne peut faire abstraction des pouvoirs politiques.

Au-delà des malaises que suscite le Pacte à propos de certains signataires (intellectuels, universitaires, artistes, gens d’affaires fortunés), des individus que Michéa appelle « la gauche kérosène » qui dénoncent du bout des lèvres la dynamique du capital, il faut prendre au sérieux le pari proposé par Dominic Champagne. L’urgence des problèmes environnementaux se manifeste de manière inquiétante quand des populations entières sont victimes des changements climatiques dans des conditions d’inégalité de ressources sociales et économiques. S’imposent alors la solidarité, l’entraide et le déploiement d’économies alternatives et de proximité déjà présentes sur tout le territoire du Québec.

Pour contrer l’économie dominante qui se nourrit des inégalités, nous avons besoin d’une conception du sens commun qui nous relie à la nature et aux institutions politiques. C’est ce que me laisse entendre le Pacte. Selon Michéa, la menace est du côté du capital, cet ennemi principal des changements climatiques et du lien social. Le capital soumet l’ensemble des activités humaines à ses propres lois et à une logique sans limites qui détruit le vivant, mais aussi le mouvement d’autonomie des individus et des communautés locales (le mouvement noir, autochtone, francophone et québécois). Et cette logique n’est pas étrangère à l’idéologie de la diversité qui jette dans l’ombre les dérives de la société de consommation et les inégalités économiques.

1. Walter Benn Michaels, La diversité contre l’égalité, Raisons d’agir, 2009.

2. Entrevue réalisée par Vinciane Cousin, « Enseigner l’histoire des NoirEs et de l’esclavage au Québec », Le Mouton Noir, novembre-décembre 2018, vol. 24, no 2.

3. Aymeric Patricot cité par Jean-Claude Michéa, Notre ennemi, le capital, Flammarion, 2017.

4. Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique, Parti pris, 1968.

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