
Il y a de ces rencontres improbables qui marquent les débuts d’une grande aventure. Au hasard d’un covoiturage, la réalisatrice Martine Asselin fait monter dans sa voiture un jeune homme de 27 ans passionné et acrobate de formation, Louis Maltais. Ce dernier lui avoue qu’il a fait une demande d’admission pour entrer au baccalauréat en pratique sage-femme.
Surprise, mais impressionnée, Martine Asselin reste longtemps habitée par cette rencontre avec cet homme prêt à déconstruire des préjugés. Est-ce qu’une sage-femme peut être un homme? De là débute un documentaire intimiste et profondément humain sur un pionnier masculin de la profession, mais non moins engagé dans cette mobilisation sur le droit des femmes à accoucher comme elles le souhaitent. On assiste ni plus ni moins à la naissance d’un « homme sage-femme ».
Gagner en confiance
Difficile, dès les premières images, de ne pas rester insensible à la lecture de la lettre d’admission de Louis Maltais au baccalauréat offert à l’Université du Québec à Trois-Rivières. On le sent fébrile, angoissé, voire apeuré, mais aussi intensément déterminé. On entre avec lui dans quatre années de formation exigeantes et remplies de doutes. Il le dit lui-même dans le film : « Moi, j’ai besoin justement de me faire [dire] : hey go, vas-y! »
Une des grandes forces du documentaire est de donner la place aux collègues de Louis : étudiantes, sages-femmes, préceptrices, collègues du milieu de la santé, et de rendre compte du profond respect qu’on témoigne aux familles accompagnées et aux bébés qui naissent. Grâce à toutes ces personnes, mais aussi par sa grande introspection, on sent Louis s’épanouir et gagner en confiance.
Un « homme » sage-femme?
La question de la légitimité d’une figure masculine dans une profession presque exclusivement féminine marque l’imaginaire. La directrice du programme de formation des sages-femmes à l’UQTR, Lucie Hamelin, le souligne d’entrée de jeu dans le documentaire : « Il va y avoir les préjugés des femmes, il va y avoir les préjugés des conjoints, il va y avoir les préjugés des sages-femmes, parce qu’il va y en avoir. Il va même y avoir les préjugés des professionnels. »
On le comprend bien lors du stage en milieu hospitalier où un certain malaise est ressenti, mais où, de part et d’autre, on note une volonté sincère de collaboration. Certains parents ayant choisi un suivi avec sage-femme accueillent positivement Louis Maltais comme stagiaire, mais d’autres s’y refusent et l’équipe de la maison de naissance l’accepte avec respect. En discussion avec lui, il mentionne qu’il souhaite toujours « laisser le chemin à la rencontre humaine ».
La réalisatrice Martine Asselin souligne que les questions du genre font partie de sa démarche parce que « la différence est encore peu acceptée socialement ». Or, des initiatives comme la sienne viennent justement déconstruire ces préjugés. Lors d’une scène particulièrement marquante, Louis Maltais n’a pas peur de mimer l’intensité des contractions. Cette image forte ne laisse personne indifférent. Un ami de la réalisatrice ayant vu le film en avant-première a d’ailleurs souligné que le film constitue un « discours que tous les hommes devraient entendre en 2018 ».
J’ajouterais que peu importe qu’il s’agisse d’hommes, de femmes ou de personnes non binaires, cette ouverture à l’autre ne devrait pas être teintée par les stéréotypes, mais bien être marquée par l’expérience intime et personnelle de chacun des accouchements. Elle l’est d’ailleurs pour toute personne qui en a été témoin. C’est par et pour les femmes que Louis Maltais est devenu sage-femme et c’est pour elles qu’il vit sa profession.
Une sensibilité partagée
Le film baigne dans une ambiance intime propice à la confidence. La musique ajoute à l’expérience humaine par ses sons graves, parfois même viscéraux. Les émotions y sont palpables, mais c’est l’amour et le dévouement pour les femmes et les familles qui l’emportent sur les moments de doute.
L’honnêteté est au cœur de ce documentaire qui permet de réfléchir plus activement à la déconstruction de la périnatalité encore vue comme l’univers « exclusif » des femmes pouvant accoucher. Il s’agit ici d’un témoignage qui convainc que le fait d’être un homme ne limite en rien la place des femmes à vivre leur maternité. Au contraire, le parcours de Louis Maltais ouvre la voie à de nouveaux alliés à la cause, en offrant une définition élargie de la naissance et de la parentalité, à l’image des changements qui s’opèrent dans notre société.
Le film Un homme sage-femme sera présenté au cinéma Paraloeil de Rimouski en mars 2019.