
Grâce au travail de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, beaucoup plus de Canadiens et de Canadiennes comprennent l’impact à long terme des pensionnats sur les populations autochtones. Il faut encore comprendre comment cette histoire a affecté l’état d’esprit et la motivation des étudiants et étudiantes autochtones, mais une plus grande couverture du sujet dans les médias et en éducation est un signe d’amélioration. Un obstacle encore plus difficile à surmonter est le manque général de connaissances sur la manière dont la pensée eurocentrique imprègne le système scolaire à tous les niveaux et continue d’avoir un impact négatif sur les peuples autochtones et sur la façon dont la population canadienne allochtone perçoit les Autochtones.
Plusieurs Autochtones œuvrant dans le domaine de la recherche et de l’éducation au Canada et ailleurs ont décrit la nature eurocentrique des savoirs qui sont transmis à tous les niveaux dans les institutions eurocanadiennes.
L’eurocentrisme est si profondément ancré dans le système scolaire1 que la validité des savoirs n’est jamais remise en question. Les savoirs issus de la pensée eurocentrique sont perçus comme politiquement neutres, et leur assise sur une vision européenne du monde n’est pas reconnue. « La mondialisation du savoir et de la culture occidentale réaffirme constamment la vision que l’Occident a de lui-même comme centre des savoirs légitimes, arbitre de ce qui peut être considéré comme un savoir et seule source des « savoirs civilisés ». Cette forme de savoir est généralement appelée « savoir universel », à la disposition de tous et dont personne n’est vraiment « propriétaire » 2. » Cependant, il n’y a pas de « système de savoirs neutre. Tous les savoirs sur la nature sont une construction sociale3 ».
Selon ces chercheuses et ces chercheurs, un biais eurocentrique dans l’éducation, lorsqu’il n’est pas remis en question, contribue à marginaliser davantage les peuples autochtones et leurs manières de savoir et d’apprendre.
De la vision du monde
Les visions autochtones du monde ont tendance à être globales, privilégiant l’interrelation entre les éléments de la vie : les humains, les animaux, les plantes, etc. En outre, ces visions sont fondées sur une expérience directe de la nature, dans un territoire ancestral particulier. La science occidentale, elle, porte sur l’analyse individuelle des éléments dans des environnements contrôlés4.
Par exemple, les Autochtones proposent une compréhension approfondie des environnements locaux — des interprétations qui ont aidé les populations autochtones à s’adapter et à survivre dans une variété d’habitats en Amérique depuis des milliers d’années. Par l’observation et l’expérimentation directes, et grâce à une riche tradition orale qui permet de garder en mémoire les événements et les mouvements à travers le temps, les peuples autochtones en sont venus à des conclusions au sujet de leur monde de plus en plus corroborées par la science occidentale5.
L’inclusion bien intentionnée de thèmes autochtones dans les programmes scolaires, généralement sans consultation préalable des communautés autochtones locales, souffre aussi bien souvent d’un biais eurocentrique. Un manque de considération pour la diversité des cultures, des histoires et des savoirs autochtones, par exemple, contribue à l’idée que tous les peuples autochtones sont les mêmes.
En outre, la représentation typique des populations autochtones se concentre sur un passé glorifié ou un présent problématique, perpétuant l’idée que les populations autochtones sont en quelque sorte « carencées » et incapables de s’adapter à la société contemporaine. Par exemple, les manuels scolaires du secondaire québécois contiennent de nombreuses illustrations des peuples autochtones dans les pages consacrées à la période précédant les premiers contacts avec les peuples européens. Cependant, toute discussion sur les populations autochtones contemporaines se concentre sur les indicateurs socioéconomiques relatifs aux « problèmes sociaux » comme le suicide et l’intoxication. On présente très peu d’images positives des peuples autochtones contemporains6.
Le système éducatif actuel perpétue des stéréotypes préjudiciables qui contribuent à marginaliser encore davantage les populations autochtones. Comme les éducatrices et les éducateurs ont été formés dans ce même système, elles et ils ont souvent intériorisé l’idée que les populations autochtones doivent être « réparées » pour être en mesure de s’adapter et de réussir dans le milieu universitaire. Très peu de personnes reconnaissent que le système éducatif lui-même fait partie du problème.
Un programme visionnaire
Heureusement, de plus en plus d’éducateurs et d’éducatrices reconnaissent cette lacune dans leur propre éducation. Au collège Vanier, à Montréal, de nombreux efforts sont faits pour intégrer les savoirs autochtones dans les programmes scolaires et la réaction est phénoménale. Par exemple, 30 personnes se sont inscrites à un programme de sensibilisation à l’éducation autochtone, sans compter une liste d’attente et de nombreuses personnes qui s’informent à propos du programme. De plus, la création d’un certificat en études autochtones a reçu un appui massif. En septembre 2017, le collège Vanier a signé le Protocole sur l’éducation des Autochtones, ce qui montre un engagement à poursuivre les efforts sur ce front.
L’auteur est rofesseur au collège Vanier et cofondateur du Vanier Indigenous Circle. L’auteur s’exprime ici à titre personnel. Traduction : Denis Côté
1. Marie Battiste, Decolonizing education. Nourishing the learning spirit, UBC Press, 2013.
2. Smith, 1999, p. 63.
3. Marie Battiste, ouvrage cité.
4. Lisa L. Sparkes et David W. Piercey, Indigenous ways of knowing and Western science : including traditional knowledge in post-secondary biology courses, collège Vanier, 2015.
5. Linda M. Goulet et Keith N. Goulet, Teaching each other: Nehinuw concepts and Indigenous pedagogies, UBC Press, 2014.
6. Adeela Arshad-Ayaz, « L’inclusion en action », discours prononcé au collège Vanier, 2015.