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Gérin-Lajoie, un Québécois errant en nos mémoires oublieuses…

Par Patricia Posadas le 2018/11
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Gérin-Lajoie, un Québécois errant en nos mémoires oublieuses…

Par Patricia Posadas le 2018/11

La jeunesse, c’est toujours l’éducation et l’éducation, c’est la jeunesse.

 – Paul Gérin-Lajoie

Le 25 juin dernier, Paul Gérin-Lajoie s’est éteint à l’âge de 98 ans. J’étais en deuil national. Aux premiers jours de la rentrée, j’ai demandé à mes étudiantes et à mes étudiants s’ils connaissaient cet homme. Non. Le premier de tous les ministres de l’Éducation au Québec, ai-je lourdement insisté? Non. L’un des ardents artisans de la Révolution tranquille? Silence radio. Connaissez-vous les dictées P.G.L.? Ah ben oui, oui, ça, ils connaissaient. Certains en avaient entendu parler. Certains y avaient participé. Une fois, peut-être deux.

Ainsi, je découvris, à mon grand dam, que Paul Gérin-Lajoie, le père de l’éducation moderne au Québec, ne laisse dans la mémoire en creux de nos cégépiennes et cégépiens que trois initiales dont ils ne connaissent même pas l’origine.

Blessée par cette révélation, je racontai l’anecdote à mon tendre et cher époux. « Paul Gérin-Lajoie, me questionna-t-il, c’est qui déjà? » Soupir…

Au pays du « Je me souviens » (Madame Payette, quel message vouliez-vous nous passer en choisissant cette devise?), la mémoire est déposée dans une chambre secrète, et rares sont celles et ceux qui semblent y avoir accès.

L’artisan de la naissance du ministère de l’Éducation (1964)

Paul Gérin-Lajoie a été un esprit remarquable, un politicien inspiré, un homme de convictions qui s’est battu toute sa vie pour une grande cause : l’alphabétisation, mais aussi et surtout pour une éducation de qualité, moderne, accessible à toutes et à tous, quel que soit le lieu où l’on se trouve car, à ses yeux, l’instruction était, est et sera toujours le véritable outil d’émancipation des individus dans un monde jamais avare d’injustices et d’inégalités.

Né en 1920, il est élu en 1960 en même temps que Jean Lesage dans la fameuse « équipe du tonnerre ». Il est si brillant que Lesage lui propose le prestigieux poste de procureur général, mais Gérin-Lajoie le refuse et demande un ministère beaucoup moins scintillant, mais qui lui tient à cœur : le ministère de la Jeunesse (de 1960 à 1964), qui s’occupe des rares établissements scolaires qui ne sont pas sous tutelle cléricale. Malgré Lesage lui-même, qui s’oppose à l’idée d’un ministère de l’Instruction publique1, et malgré l’immense lobby du clergé, Gérin-Lajoie finira par être le premier ministre du tout nouveau ministère de l’Éducation créé, grâce à lui, en 1964.

Le retard du Québec en éducation était énorme, le chantier que proposait Paul Gérin-Lajoie était colossal. Portée, entre autres, par le rapport Parent2, la réforme de l’instruction publique, issue de la Loi 60, dont notre homme va se faire le chantre, transformera à jamais le visage du Québec. On développe les cégeps, les universités du Québec; les ordres supérieurs d’éducation sont déconfessionnalisés. Ce sera plus long pour le primaire et le secondaire.

L’enjeu de l’éducation pour toutes et tous sera l’axe autour duquel s’articulera sa vie entière. Le fait que la Fondation Paul Gérin-Lajoie œuvre à l’alphabétisation d’enfants et d’adultes en Haïti ou au Sénégal, par exemple, en témoigne.

L’audace du véritable changement

Dans tous les domaines qui sont complètement ou partiellement de sa compétence, le Québec entend désormais jouer un rôle direct, conforme à sa personnalité et à la mesure de ses droits.
– Paul Gérin-Lajoie, 1965

Non content de voir à améliorer la qualité de l’enseignement et de travailler à sa démocratisation, Paul Gérin-Lajoie participa activement au rayonnement du Québec sur la scène internationale, par le biais de la doctrine Gérin-Lajoie (1965), laquelle « deviendra la base des revendications québécoises en matière internationale3 ».

Cet homme hors du commun voulait sortir un peuple tout entier de l’ignorance dans laquelle on le confinait. Nous lui devons beaucoup. Audacieux et visant un véritable changement de paradigme, il aura permis au Québec de rayonner tant par le développement de ses savoir-faire et de son ingéniosité, favorisée par une éducation modernisée, que par le développement d’une diplomatie internationale qui brillera surtout sur le plan culturel.

Il nous voyait grands, très grands. Nous le sommes, mais les éteignoirs sont légion en ce monde et il ne fallait surtout pas que le Québec existe trop par lui-même. L’histoire ne cesse de nous donner des exemples en ce sens, jusqu’à la toute récente renégociation de l’ALENA.

Merci de tout mon cœur, Paul Gérin-Lajoie, pour tout ce que vous nous avez donné. Merci d’avoir cru en ce peuple auquel j’ai choisi d’appartenir par amour pour ce qu’il était. Ce qu’il était, me direz-vous? « Quelque chose comme un grand peuple », à votre image en somme : audacieux, courageux, entêté, généreux. Et oublieux…

1. Claude Gauvreau, « Le rapport Parent : un document fondateur », INTER. Magazine de l’Université du Québec à Montréal, vol. 11, no 2, automne 2013, https://www.actualites.uqam.ca/2013/le-rapport-parent-un-document-fondateur

2. Ibid.

3. Robert Aird, « La doctrine Gérin-Lajoie – Signé André Patry », Le Devoir, 9 mars 2005.

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