Actualité

Fausse route

Par Mélanie Roy le 2018/11
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Fausse route

Par Mélanie Roy le 2018/11

Le rapport Parent, élaboré par la Commission royale d’enquête sur l’enseignement sous le Parti libéral de Jean Lesage, rassemblait, dans les années soixante, quelque 500 recommandations visant à démocratiser l’éducation : école obligatoire jusqu’à 16 ans, abolition des collèges classiques, création des polyvalentes, des cégeps et du réseau de l’Université du Québec, études pré-universitaires gratuites et mise en place d’un régime de prêts et bourses pour les étudiants des ordres collégial et universitaire. Soixante ans plus tard, on se plaît à dire que le système éducatif primaire et secondaire n’a pas changé.

L’idée de démocratiser l’éducation est incontestable. Au nom de l’équité, toute personne a le droit à une éducation de qualité. Toutefois, les valeurs humaines placées au premier rang lors de l’élaboration du rapport Parent ont malheureusement été remplacées, avec les années, par des valeurs discutables comme la compétition, la recherche de profit et la réussite individuelle. Ces valeurs, sous-jacentes au système économique néolibéral, contribuent à maintenir les inégalités socioéconomiques dans la société et dans l’école québécoise.

Des effets les plus nocifs et les plus visibles du néolibéralisme ambiant, soulignons la ségrégation scolaire qui est le principal frein à la démocratisation de l’éducation. Présentement, au Québec, tous n’ont pas la même chance de développer leur plein potentiel. En effet, les écoles privées et les écoles à vocation particulière exigent une contribution financière des parents que tous ne peuvent se permettre. De plus, les milieux défavorisés accueillent un plus grand nombre d’élèves sous-stimulés présentant des déficits importants.

Le manque d’entretien de plusieurs écoles, la condamnation de certaines méthodes d’enseignement peu adaptées aux réalités des élèves, la dévalorisation de la profession [vocation] d’enseignant et la baisse considérable des services offerts en milieu scolaire sont autant d’exemples de changements qui ont affecté le système d’éducation québécois, quand, en 2002, la gestion axée sur les résultats a fait son entrée. Lentement mais sûrement, le vocabulaire gestionnaire s’est immiscé dans le monde de l’éducation : un élève est devenu un effectif et des services leur sont attribués au compte-gouttes, en fonction des règles budgétaires; les écoles se fixent des objectifs de taux de réussite et on exige d’elles des redditions de compte pour justifier l’atteinte, ou non, de leur cible. Les écoles sont maintenant soumises à un indice de performance qui leur octroie une place dans le sacro-saint palmarès de la compétitivité entre les établissements scolaires, comme toute autre entreprise. De plus, au nom de l’efficience, plus de tâches administratives sont imposées aux enseignants. Ainsi, le manque de temps nuit à l’enseignement du savoir au profit de la technique.

Si le Programme de formation de l’école québécoise était basé sur les principes d’Edgar Morin1, sociologue et philosophe français, il comprendrait les sept savoirs fondamentaux qu’il a développés :

1- Les cécités de la connaissance : l’erreur et l’illusion (apprendre à apprendre par la prise de conscience des mécanismes de construction de la connaissance)

2- Les principes d’une connaissance pertinente (relation entre les connaissances locales et globales)

3- La condition humaine (s’ouvrir à la diversité physique, biologique, psychique, culturelle, sociale et historique de l’être humain)

4- L’identité terrienne (tous les êtres humains sont confrontés à un destin commun)

5- Les incertitudes (considérer le rôle de l’incertitude dans l’apprentissage)

6- La compréhension (combattre l’ignorance pour favoriser la communication entre les individus)

7- L’éthique du genre humain (prendre conscience de la trilogie composée de l’individu, de la société et de l’espèce)

Selon ces principes, l’éducation devient plus qu’une transmission de savoirs techniques, car elle fait référence au développement global d’individus qui seront en mesure d’entretenir des relations sociales harmonieuses. Morin préconise une éducation décloisonnée et multidisciplinaire pour préparer les citoyens à faire face à la complexité du monde.

Nous sommes actuellement loin au Québec d’un idéal éducatif où l’objectif principal serait de former des acteurs sociaux capables de réfléchir, de critiquer et de faire évoluer la société. L’éducation est ce puissant facteur de changement à la base de la construction d’un monde plus juste et équitable qui favorise l’amélioration des conditions de vie. Il n’est donc pas surprenant que les dirigeants d’aujourd’hui, partisans de l’idéologie néolibérale, instrumentalisent l’école québécoise en la gérant à même les principes du système socioéconomique sur lequel ils assoient leur pouvoir.

Le système scolaire a bel et bien changé depuis la Révolution tranquille et il a pris une bien mauvaise tangente. Il est temps de redonner à l’école son sens universel.

1. Edgar Morin, Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Seuil, 2000, 131 p. 

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