
Cinq juin 2018. Je travaille à la bibliothèque. Des étudiants font des recherches, d’autres un casse-tête, certains rédigent ou écoutent des vinyles. Une collègue arrive et dépose une pile de feuilles devant moi : « Ça, me dit-elle, ce sont des formulaires remplis par les personnes incarcérées à Rimouski. On leur a demandé quelle formation, quel projet ils aimeraient avoir. Regarde les commentaires à la dernière page. La majorité d’entre eux veulent une bibliothèque. »
C’est comme ça que je me suis retrouvée en route vers la prison : pour participer à l’implantation d’une bibliothèque.
Je me rends donc à une rencontre réunissant les gens intéressés : membres du Groupe Collegia et de la direction de l’établissement de détention, agents correctionnels et détenu responsable de la bibliothèque. C’est la première fois que je franchis les grilles et toutes les étapes de sécurité m’impressionnent. Je me sens petite.
Les livres sont rassemblés dans trois armoires métalliques verrouillées dans une salle de classe. Il s’agit de trier, de réparer ce qui peut être réparé, de classer, de rendre les documents accessibles et d’obtenir de nouveaux livres. Il faut aussi s’assurer que les personnes concernées reçoivent la formation nécessaire pour faire fonctionner la bibliothèque.
Plusieurs étapes sont celles inhérentes à mon métier; j’aime rendre l’information accessible et promouvoir la lecture. Je suis de celles qui sont convaincues que lire permet de s’émanciper et participe à l’autonomie de chacun. Mais ici, plusieurs règles de sécurité viennent pimenter et complexifier tout cela. J’adore ce nouveau défi. Car si je connais plusieurs genres de bibliothèques, je ne connais rien à celles en milieu carcéral.
Ce ne sont pas les sujets abordés dans les livres qui posent problème : on lit de tout à l’établissement de détention! Ça va du manuel pour arrêter de fumer au guide pour apprendre à gérer son stress, du roman policier à la bande dessinée, de la biographie au livre de motos. Non, ce sont plutôt les utilisations inusitées du livre ou du matériel qui posent problème.
L’accès aux ordinateurs est très encadré et si une partie du projet peut être informatisée, une autre partie doit être faite manuellement. Comme le but est de rendre les personnes incarcérées autonomes dans la gestion de leur bibliothèque, je m’efforce de m’adapter aux besoins en gardant deux mots en tête : simple et efficace. L’enthousiasme et l’implication de l’établissement de détention sont grands, ce qui est très motivant. Émouvant, même, de rassembler tout ce monde autour des livres.
La photographe Caroline Vukovic, enseignante au cégep de Matane, m’accompagne lors de la formation. De cette rencontre et de ses contraintes est née une exposition réunissant photographies et poèmes. La boucle est bouclée : les personnes incarcérées à Rimouski ont une bibliothèque. Un catalogue d’exposition témoigne de l’implication de la communauté carcérale : ce tout petit livre est d’ailleurs rangé sur leurs rayons.