
La maladie d’Alzheimer est entrée dans notre famille alors que notre garçon n’avait que deux ans et mon mari, à peine 56. Commença alors une sacrée aventure! Ou plutôt, une aventure sacrée…
Comment raconter 14 ans de vie comme proche aidante de mon mari? Il y a toujours un risque, celui d’exposer une réalité en raccourci, mais essayons…
Comme on le sait, composer au quotidien avec une terrible maladie comme l’Alzheimer propulse les proches aidants dans une réalité extrêmement difficile et exigeante : charge de travail, épuisement, appauvrissement, solitude. Ce portrait de proche aidante vulnérable et fatiguée est bien vrai! Pourtant, aujourd’hui, je me dis que je ne suis pas que cela. Après 14 ans, je me sens forte, plus forte qu’auparavant. Je suis surprise d’avoir surmonté tant d’obstacles, comme être restée créative, m’être adaptée sans arrêt, avoir maintenu un contact vivant avec mon compagnon, avoir mené la barque familiale, avoir appris à mieux me connaître, à me dépasser et à saisir mes limites, avoir, telle une athlète du deuil, accepter d’avancer dans ce que la vie m’a proposé, laissant le passé derrière. Quand je regarde en arrière, je vois un travail énorme, une résilience et un cœur qui s’ouvre plus grand à l’amour malgré le chaos. Et tellement de moments de grâce malgré tout…
Mon mari, lui, a, pendant des années, compris qu’il était atteint, et disait qu’il apprenait l’humilité. Écrivain, il a écrit sur sa maladie pour raconter qu’il était vivant; il disait même : « Plus vivant que jamais! » Il a été un superhéros de résilience et il en a inspiré plus d’un.
À 10 ans, notre fils disait : « On est une famille harmonieuse! » Et j’étais d’accord avec lui… Pour comprendre notre situation dans son entièreté, il faut reconnaître que lumière et ombre coexistent partout. Notre leitmotiv est : « La vie est sacrée » et nous voulons l’honorer. Avec ou sans Alzheimer, il s’agit de notre quête de vie.
Collectivement, comment honorer la vie?
Collectivement, je rêve qu’on fasse appel à l’expertise et à la force des proches aidants et des malades. Qu’on aille à la rencontre des personnes atteintes, car elles ont encore beaucoup à donner. Je rêve d’une société qui place les plus vulnérables au centre de sa croissance, car, par cette façon de faire, c’est notre humanité à tous qui s’en trouve amplifiée. Pas par « charité chrétienne » (dans le sens restreint où cela a souvent été vécu) ou par pitié, mais parce qu’on y découvre des trésors de vie et de sens. En fait, la maladie d’Alzheimer propose un défi collectif fantastique : retisser serré notre sentiment d’appartenance à la communauté humaine.
Je rêve d’une société où on s’épaule pour la construction d’un monde qui honore la vie, qui n’attend pas le drame, l’épuisement, où on ne ramasse pas les proches aidants à la petite cuillère, où on ne gare pas les malades atteints d’Alzheimer dans des centres qui ressemblent plus à des hôpitaux et à des prisons qu’à des milieux de vie, ce qui de plus coûterait collectivement moins cher. Mais il faut pour cela avoir une vue d’ensemble et à long terme…
Quels économistes de bout de ficelles avons-nous au gouvernement? Au lieu de payer 15 000 $ ou 20 000 $ pour de l’aide à domicile, ils sont prêts à débourser de 50 000 $ à 70 000 $ pour combler le prix de la résidence que la maigre pension de mon mari ne peut payer en entier. En plus de voguer dans l’absurdité d’une maladie, nous voilà plongés dans une absurdité économique implacable.
Et toute la communauté? Va-t-elle se tenir au coude à coude, au cœur à cœur dans cette épidémie d’Alzheimer? A-t-on, chacun, un bout de responsabilité, en tant que famille, ami, gouvernement?
Dans notre monde pressé, stressé, comment s’occuper des plus vulnérables? Je me suis tant sentie responsable de tout. J’aimerais une responsabilité partagée. Un engagement. L’empathie et la compassion me font du bien. Mais j’ai besoin de construire, avec d’autres, cet accompagnement de longue durée d’une personne atteinte d’Alzheimer.
Du répit
Alléger les proches aidants, les considérer comme les premiers experts, car ce sont eux qui, non rémunérés, vivent pendant des années avec leur proche aidé, leur proche aimé.
Notre vie pourrait tellement mieux se dérouler s’il y avait de l’aide. Du répit, du répit, du répit! Afin de poursuivre ce noble travail auprès de l’être aimé souffrant de dégénérescence cognitive.