Champ libre

Sur la piste du Canadien errant

Par Xavier Martel le 2018/07
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Sur la piste du Canadien errant

Par Xavier Martel le 2018/07


Nous n’arriverons jamais à appréhender pleinement notre propre histoire sans passer par [l’histoire du Mexique et de la Caraïbe]… et par celle du continent entier.

– Jean Morisset

Dans son plus récent ouvrage, Jean Morisset tire les fils de nos appartenances, il remonte au tissage premier, au métissage identitaire, et pose des questions trop souvent chassées du revers de la main. Ses questions, existentielles et fondatrices, respirent le large, l’écume, l’humidité tropicale et les forêts septentrionales. Elles tentent de faire apparaître le Canayen dans sa liberté première : « Que pouvions-nous être, sinon des ensauvagés nourris au nordet, aux sapinages, au bois de grève et à l’écume des battures sous la liberté des firmaments. »

À la lecture, on s’imprègne d’un souffle et d’un lyrisme particulier. Amalgame de bourrasques, de battures, d’aurores boréales et de ressacs, une langue poétique file entre les lignes… et c’est à un lecteur attentif qu’elle s’adresse. Il faut dire que Sur la piste du Canada errant est une proposition dense et osée : Morisset nous convie à un travail de fond comme on dit « coureur de fond ». Les sources innombrables proviennent de recherches étalées sur une vie entière. Les notes de bas de page, éclairantes, servent à enrichir une pensée foisonnante et à éclairer, enfin, tous les recoins de notre histoire. Pour suivre la piste, il faut aller de phrase en phrase en dansant, d’avant en arrière et d’arrière en avant.

Ce livre deviendra certainement la pierre angulaire de l’ensemble des travaux de Morisset. Sa thèse est résumée et relancée ici : l’identité « québécoise » est avant tout métisse. Le personnage qu’il présente « n’a rien d’un Blanc à temps complet », affirme-t-il. La figure évoquée est celle du Métis-Mulâtre-Créole qui « réalise l’alliance et le compromis essentiel entre l’Ancien et le Nouveau Monde. » Les liens identitaires, souvent dissimulés entre l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud, sont aussi mis de l’avant. Comme formulé sur le site de Boréal, Morisset montre comment « la British North America s’est fabriqué une identité à partir des cultures autochtones, canadienne et métis, tout en leur niant tout véritable pouvoir politique ».

Aussi, en rétablissant la vérité sur les rapports amicaux ET conflictuels, pour ne pas dire parfois racistes, entre Canadiens, Métis et Autochtones, Morisset met la table pour un banquet à venir où les discussions n’omettront rien et où tous les sujets seront permis et entendus. En ce sens, il n’oublie pas. Il propose plutôt une mémoire active, une mémoire qui, comme dans L’Indien malcommode de Thomas King, dénonce les politiques coupe-mémoire.

Sur la piste du Canada errant prolonge, de façon beaucoup plus articulée et savante, la thèse du documentaire L’empreinte, de Dubuc et Poliquin, qui omettait d’évoquer la trahison des Canadiens (Québécois) et les manquements des Métis à l’égard des Autochtones : « S’il faut de nouveau le répéter, le Canadien [entendre le Québécois] n’a eu qu’un seul et unique allié : l’Indien. Allié sur lequel il a d’ailleurs souvent levé le nez pour promouvoir sa propre ascension sociale auprès de « ses » Anglais conquérants. » Ce genre de vérité fait mal à entendre, mais est nécessaire pour aller de l’avant sans faire comme si de rien n’était, sans oublier.

En tant que professeur au cégep, il me semble qu’est venu le temps d’enseigner une histoire décolonisée. En ce sens, la réflexion de Jean Morisset devrait occuper une place primordiale dans nos cours d’histoire et de littérature québécoise, au même titre que L’Indien malcommode ou que l’essai de Georges E. Sioui, intitulé Pour une histoire amérindienne de l’Amérique. Rétablir la vérité, n’est-ce pas l’entreprise de l’éducation? Comprendre d’où l’on vient pour savoir qui l’on est, lier le géographique et l’identitaire, n’est-ce pas la tâche de quiconque aime nos « quelques arpents de neige »? Il faut lire Sur la piste du Canada errant pour entrer en Amérique par la bonne porte. Et ne pas se tromper d’histoire.

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