
François Legault devrait méditer ce proverbe : il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Être en tête dans les sondages avant le début d’une campagne électorale n’est pas le gage d’une victoire. L’élection de Justin Trudeau et celle de Valérie Plante en sont la preuve. Il faut considérer la volatilité électorale, un phénomène qui évoque le fait que, souvent, les individus changent d’affiliation politique au gré de leurs humeurs. Sans être probable, l’élection en 2018 d’un gouvernement de la CAQ reste néanmoins possible.
Néolibéralisme et volatilité électorale
Les années 1980 ont amené des changements fondés sur le déploiement du néolibéralisme qui consacre le marché économique comme vecteur du développement. Le néolibéralisme est la figure actuelle du capitalisme, son nouvel avatar. Ses partisans le présentent comme la nouvelle réalité incontournable marquant la fin des idéologies grâce au triomphe sans partage du capitalisme néolibéral. Le concept de globalization désigne le phénomène qui consiste à réunir des éléments distincts en un tout homogène, intégré. Cela se traduit par l’accroissement des échanges mondiaux, par les migrations de populations dans cet espace mondial en expansion qui se caractérise par une culture uniforme avec comme langue le globish (contraction de global et de english), un anglais simplifié. Ce phénomène collectif est couplé sur le plan individuel avec la philosophie de l’individu-entrepreneur de lui-même : il s’adapte à cet environnement global en faisant preuve de flexibilité. Selon cette logique, les déterminants individuels, plus que les déterminants sociaux, conditionnent la vie et le devenir des personnes.
Sur le plan électoral, le modèle déterministe d’explication du comportement électoral postule que l’appartenance à un groupe social (bourgeois ou ouvrier, par exemple) et l’identification à une idéologie politique (fédéraliste ou souverainiste, droite ou gauche) sont déterminantes des choix électoraux. Ce modèle n’est plus adapté aux faits observés depuis les années 1980, aussi il est remplacé par le modèle stratégique : l’individu-entrepreneur, débarrassé des déterminismes sociaux et du poids de la tradition, fait des choix électoraux conséquents avec sa rationalité personnelle, en fonction des enjeux qui l’animent au moment des élections ou encore en encourageant le parti au pouvoir (s’il est satisfait de ses politiques) ou en le sanctionnant (s’il est insatisfait). Dans ces circonstances, une polarisation du vote est observée : un parti se présente alors comme la solution de remplacement au parti au pouvoir, comme l’incarnation du changement. Le changement est considéré comme une vertu (au même titre que l’innovation, recherchée de manière continue dans le contexte du capitalisme néolibéral), aussi, même le parti au pouvoir cherche à l’incarner : le changement dans la continuité, en quelque sorte…
Un gouvernement de la CAQ?
La CAQ incarne-t-elle le changement? Elle le prétend, mais sur le plan des idées et des valeurs, son programme n’est pas fondamentalement différent de celui du PLQ, quoique plus populiste. Son personnel se recrute dans les mêmes bastions que ceux du PLQ. Les Gaétan Barrette, Dominique Anglade, Sébastien Proulx, Marguerite Blais et compagnie sont des agents libres. C’est aussi, parfois, le cas pour les autres partis. Michelle Blanc, qui se présente pour le PQ dans Mercier, a alimenté un suspense entourant son choix entre la CAQ et le PQ qui pouvaient tous deux répondre à ses ambitions personnelles. Jean-Martin Aussant a demandé à être candidat solidaire dans Mercier avant de se rabattre sur Pointe-aux-Trembles pour le PQ. François Legault lui-même est un ancien ministre péquiste et souverainiste converti au caquisme et au fédéralisme.
Dans les sondages(1), la CAQ caracole avec l’option d’un gouvernement majoritaire : 63 comtés, le chiffre magique qu’il faut atteindre, contre 43 pour les libéraux, 15 pour les péquistes et 4 pour les solidaires. Une personne sur trois opte pour la CAQ. Il existe des comtés sûrs pour les quatre partis, d’autres où la campagne aura un effet décisif. Si la Capitale-Nationale est caquiste, le Bas-Saint-Laurent demeure péquiste. L’ouest de l’île est rouge foncé et l’est de Montréal, solidaire. La circonscription de Jean-Talon à Québec, représentée par Sébastien Proulx, a toujours élu un député du PLQ : mais la CAQ y est actuellement en avance. D’autres indices pointent plutôt vers le fait que le PLQ pourrait former le prochain gouvernement : Sherbrooke vote du côté du pouvoir 9 fois sur 10 et le PLQ y maintient une avance. La lutte dans Taschereau à Québec sera épique puisque les quatre partis récolteraient chacun plus de 20 % des voix. Dans l’ensemble du Québec, la machine libérale est plus expérimentée que la machine caquiste. Le PQ dispose d’une base militante engagée et l’option solidaire séduit un électorat en rupture de ban avec le capitalisme néolibéral. Comme le dit Yogi Berra, ce n’est pas fini, tant que ce n’est pas fini!
1. Le site Qc125.com fait une veille, une analyse et une synthèse de tous les sondages.