Écrire, c’est aussi ne pas parler. C’est se taire.
C’est hurler sans bruit.
— Marguerite Duras
Je ne me souviens plus qui a dit qu’on peut écrire dans le bruit, mais que se relire exigeait du silence. Tout dépend du bruit, il me semble. Si tant d’écrivains ont écrit dans des cafés, c’est probablement parce qu’on arrive à s’y créer une bulle. À l’inverse, certains sons jouent sur les nerfs comme sur un violon désaccordé.
Par un matin de printemps froid et brumeux, le rugissement syncopé d’un compresseur m’empêche de travailler. Sous la pluie(!), un voisin lave son entrée à l’aide d’un puissant jet d’eau. Après avoir poussé la saleté dans la rue, l’homme, méticuleux, nettoie la chaussée, arrêtant son jet d’eau (pas le compresseur) chaque fois qu’une voiture passe. Une bonne heure de travail. Toute cette eau potable. Une fois consciente de la cause du bruit, j’arrive encore moins à me concentrer. Je suis contrariée comme lorsqu’on attend au coin d’une rue et qu’une voiture tourne sans l’avoir signalé vous condamnant à attendre que passe la très longue file derrière elle. L’un comme l’autre, des comportements sans malice pourtant. Simplement inconscients.
En sciences de l’information, on dit que l’interrogation d’une base de données génère du bruit quand de nombreuses réponses non pertinentes dissimulent les quelques réponses pertinentes. Les médias affectionnent souvent l’actualité tapageuse au détriment de la pertinence. Malheur aux politiciens qui osent des énoncés ayant besoin du contexte d’énonciation pour être compris. Ceux qui ont saisi que tout ce qu’ils diront sera saucissonné en tranches fines travaillent leurs « pitchs » pour s’imposer dans les médias (le « pogo… » est un bel exemple). À cet égard, Couillard joue avec la peur, Lisée avec l’ambiguïté, et Legault rêve de se réveiller premier ministre sans avoir eu à ouvrir la bouche. Avec la campagne électorale qui se profile, observez bien l’enflure médiatique : à mi-parcours, commenter l’effet de la couverture médiatique sur les sondages prendra de plus en plus de place.
Le silence effraie. Sur les réseaux sociaux existe un vacarme servant à masquer une forme d’anxiété archaïque, la peur d’être seul. Les mots deviennent alors du bruit pour conjurer la peur. Les trolls hurleurs seraient-ils en fait des pleutres? Le tintamarre abolit le sens, le silence redonne aux mots leurs signifiés. Si l’on quitte une ville bruyante pour une forêt silencieuse, au début, on entend mal, comme s’il y avait des bruits parasites; on doit apprivoiser le silence autour de chaque bruit pour les percevoir. L’ouïe est ainsi en quelque sorte nettoyée.
Relire notre parcours de civilisation exigerait plus de silence. Le credo néolibéral s’est mondialisé à coup de mantras invoquant le dieu Marché et sa main invisible. Le récit du veau d’or encore et encore, comme un vieux disque accroché. La Terre engendre la vie, l’argent la cupidité et le saccage de la planète. Quel est le sens du mot bénéfique? La croissance économique d’après-guerre a indéniablement apporté une amélioration des conditions de vie ici, mais avec le boom est aussi venue la prolifération de bébelles en plastique, ces charmants dérivés du pétrole. L’ère du kitsch : beau, bon, pas cher et jetable. Des millions et des millions de tonnes de déchets chaque année. La quantité de plastique que nous avalons à notre insu devrait nous horrifier. Allons-nous attendre qu’il y ait dans les mers plus de plastique que de poissons pour réagir? Il serait plus que temps de commencer à résoudre cette dissonance cognitive : nourriture santé et emballage nocif. Quelle est la réelle utilité de la barquette en plastique omniprésente dans les commerces d’alimentation? Justin Trudeau aimerait nettoyer les océans grâce à une charte du plastique, mais refuse néanmoins de s’engager à interdire les pailles en plastique. Il est certes plus que souhaitable d’interdire les microbilles dans les produits de beauté, mais cela ne modifiera pas d’un iota nos mauvaises habitudes de consommation.
On parle beaucoup des déchets plastiques depuis quelque temps. Espérons que ce soit plus qu’une simple mode. Les images de la soupe de plastique océanique lèvent le cœur. Si nous n’avons pas le pouvoir de faire cesser l’exploitation des sables bitumineux, nous pourrions refuser collectivement le suremballage dans notre alimentation. Cela peut sembler dérisoire eu égard aux dommages déjà causés à notre écosystème, mais en y réfléchissant bien, c’est peu et beaucoup à la fois. Parce qu’agir en conscience mène toujours à des transformations.