Champ libre

Alt-Life : Quand tout est possible!

Par Claude Lachance le 2018/07
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Alt-Life : Quand tout est possible!

Par Claude Lachance le 2018/07

S’inventer une vie pour mentir aux autres et à soi-même, n’est-ce pas là le grand (des)avantage de nos vies numériques? En effet, comment avoir des relations si on peut se mentir tout le temps? Serions-nous plus heureux et plus libres dans une réalité où nous n’aurions rien à envier aux dieux de la mythologie? Un basculement général dans la virtualité constituerait-il l’avenir de l’humanité ou son annihilation? Voilà quelques-unes des nombreuses questions soulevées dans Alt-Life, le dernier opus du scénariste Thomas Cadène (Les autres gens, SexTape, La vraie vie) et du dessinateur Josef Falzon (Les autres gens, Jours de cendre).

Cobayes d’un procédé permettant de transférer définitivement la conscience dans un monde virtuel transformable à l’infini, Josiane et René tentent de donner un sens à une vie où tous les fantasmes sont permis et le moindre désir satisfait. S’interrogeant sans cesse, les deux protagonistes évoluent dans des décors tantôt fantasmagoriques, tantôt dénués d’artifice variant au gré de leur fantaisie ou de leur humeur. Dans l’univers de la Alt-Life, tout est possible et c’est bien là le problème… Une fois qu’on peut explorer les limites du possible, que reste-t-il sinon l’ennui et la quête de son humanité.

Si de prime abord, Alt-Life peut se présenter comme un hommage érotomane à l’œuvre de Moebius sans grande originalité au plan scénaristique (l’histoire repose en effet sur une trame bien connue des amateurs de science-fiction : la colonisation d’un autre monde), il n’en est rien. Ainsi, même si les traits fins, la coloration et la froideur des illustrations de Joseph Falzon rappellent le travail de Moebius, il serait faux de prétendre qu’Alt-Life n’est rien de plus qu’un hommage au maître, ou encore une reprise d’un thème classique de la science-fiction. Pour paraphraser Moebius, ce genre littéraire ouvre grandes les portes de l’espace et du temps pour aborder des préoccupations essentielles (Moebius, Le Garage hermétique, 2012). Or, c’est justement ce que parviennent à faire ici Cadène et Falzon.

Au-delà d’un récit science-fictionnel, Alt-Life offre aux lecteurs une critique parfois drôle et parfois acerbe des dérives de l’ère numérique. Sa trame narrative fait d’ailleurs écho aux thèmes abordés dans des films comme ExistenZ et Inception. À la manière de ces œuvres du 7e art, cette bande dessinée déroute son lecteur et le confronte à des questions essentielles sur ses relations dans une ère où les réalités virtuelles, apparemment plus attrayantes que la réalité, deviennent le refuge d’un nombre croissant d’êtres humains qui préfèrent fuir la réalité au lieu de poser les gestes qui permettraient de la changer.

Oui, Alt-Life fait partie de ces livres qui nous hantent bien après en avoir tourné la dernière page. La planche finale, énigmatique à souhait, nous donne d’ailleurs envie de tout recommencer du début. Dès lors, on est heureux d’apprendre que le scénario d’un deuxième tome de cette série, où science-fiction, philosophie et sociologie forment un ménage à trois parfait, est actuellement en préparation.

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