Actualité

Le capitalisme écolo

Par Ianik Marcil le 2018/05
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Le capitalisme écolo

Par Ianik Marcil le 2018/05

Intuitivement, on serait porté à penser que le capitalisme s’oppose au mouvement écologiste, puisqu’il est la principale cause de la pollution, des dérèglements climatiques et de tous les problèmes environnementaux dont souffre la planète. On sait pourtant que le capitalisme est une redoutable machine à bouffer ses ennemis, à un point tel que les entreprises dont les activités sont les plus néfastes pour les écosystèmes se donnent une image « verte ».

Du pétrole et des fleurs

À titre d’exemple, la pétrolière British Petroleum (BP) au début des années 2000 a décidé de « verdir » son image. Soigner ses couleurs, dans un contexte de montée des revendications environnementalistes, devenait une nécessité commerciale et financière. Elle a donc changé de nom : BP devenait « Beyond Petroleum » (« Au-delà du pétrole »). Même son logo a été radicalement modifié : une fleur stylisée arborant désormais les couleurs vertes et jaunes qui évoquent davantage l’image d’un groupe écolo que celle d’une pétrolière. De la même manière, le café bio et équitable, naguère réservé aux petits commerces écolos et vaguement hippies, est désormais vendu dans les grandes surfaces de supermarchés.

Si le capitalisme a cette capacité de récupérer les actions du mouvement écologiste, c’est bien évidemment parce que c’est économiquement profitable. Mais il y a plus : l’évolution du capitalisme au cours des dernières années a alimenté le mouvement écologiste. Il ne s’agit pas ici de grands complots, mais bien d’une logique intrinsèque au développement économique. Le géographe et politologue Romain Felli soutient dans La grande adaptation (éd. du Seuil) que, depuis les années 1970, les stratégies d’adaptation aux changements climatiques ne sont pas mises en œuvre contre le développement économique, mais plutôt que ce sont les forces historiques du capitalisme qui en ont fait la promotion.

Il montre que le diplomate britannique Sir Crispin Tickell, qui allait notamment devenir conseiller de Margaret Thatcher affirmait, dans un célèbre livre publié en 1977 (Climate Change and World Affairs), que les changements climatiques étaient causés par l’action humaine. À cause de l’absence de régulation du libre marché? Non, à l’inverse, on s’en doute, ce sont les gouvernements qui risquent « d’endommager les délicats mécanismes de l’atmosphère » en répondant aux demandes irréalistes « des affamés, des pauvres ou des chômeurs ».

Du pétrole contre les changements climatiques

Les politiques de lutte contre les changements climatiques ont été instrumentalisées par la logique de marché. Depuis un demi-siècle, l’idéologie néolibérale a vendu l’idée selon laquelle l’humanité devait s’adapter aux changements climatiques plutôt que les combattre. Ainsi, on a mis en place, par exemple, des « bourses carbone », un marché de la pollution en quelque sorte. Ces instruments ont été privilégiés au détriment d’approches coercitives. Pire : on en est venu à soutenir l’idée saugrenue que la réduction des gaz à effet de serre nécessitait l’exploitation des hydrocarbures afin de générer pour les gouvernements des revenus dédiés à la réduction des émissions. C’est, d’ailleurs, la position actuelle du gouvernement Trudeau.

Les conséquences ne sont pas anodines. Cette vision retire au peuple tout contrôle sur les décisions visant à prendre soin des écosystèmes et à gérer les ressources naturelles. Le « tout au marché » est un déni de démocratie dans la mesure où ce sont les plus puissants, donc les plus riches, qui influencent de tout leur poids les décisions médiatisées par ces mécanismes marchands.

C’est encore plus vrai au niveau régional et local. Si les gouvernements nationaux jettent la serviette et se plient à l’idéologie néolibérale, les gouvernements locaux ont encore moins leur mot à dire. Un peu partout dans le monde, on peut observer que des administrations régionales sont muselées par la grande industrie, comme cela faillit être le cas chez nous à Ristigouche. Comment combattre face à ces géants?

Contre Gastem

Le cas de Ristigouche pourrait certainement inspirer les mouvements sociaux en région. Le village de 157 habitants a gagné contre la pétrolière Gastem devant les tribunaux grâce à la règle de droit, devant laquelle nous sommes tous égaux, du moins en théorie. La protection de nos écosystèmes passe peut-être à la fois par les communautés locales et par les droits. En Australie, un mouvement citoyen dans la région de Perth milite afin que la rivière Margaret soit reconnue comme entité légale. À l’instar des modifications récentes au Code civil québécois qui accorde des droits aux animaux, la nature dans son ensemble devrait judiciairement avoir sa voix afin de la soustraire aux dévastatrices et impersonnelles lois du marché.

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