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L’Aut’Gauche : mise en contexte et analyse du phénomène

Par Jean Bernatchez le 2018/03
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L’Aut’Gauche : mise en contexte et analyse du phénomène

Par Jean Bernatchez le 2018/03

En janvier 2018, Roméo Bouchard et Louis Favreau publiaient le manifeste L’Aut’Gauche qui veut donner la parole à une gauche citoyenne qui ne se reconnaît plus dans les pratiques incarnées par les partis politiques. Le manifeste fait l’objet de discussions dans l’espace public, les uns soulignent sa pertinence pour le débat, les autres déplorent qu’il divise les progressistes.

Mise en contexte

Joint au téléphone, Roméo Bouchard présente la genèse du manifeste. L’homme est cofondateur de l’Union paysanne et de la Coalition pour la Constituante. Favreau est professeur universitaire émérite et titulaire d’une chaire en développement des collectivités. Favreau écrit : « Pour avoir fait huit conférences dans cinq régions […] sur le mouvement communautaire […], j’ai senti qu’au sein de ce mouvement, les discussions […] révélaient un appétit certain pour réfléchir le projet de société que nous portons dans nos pratiques citoyennes […], un projet social-écologique ». Après consultation, ils publient un manifeste — soit une déclaration publique précisant une position politique — pour interpeller la gauche sociale et créer un débat.

L’Aut’Gauche propose une plateforme — soit des principes préalables à un programme d’action — qui s’articule autour de quatre axes : la réforme démocratique, le partage de la richesse, la transition écologique et la souveraineté politique. Il interpelle le réseau citoyen enraciné dans l’action collective : « il a peu de moyens, les médias en parlent peu, il se mêle peu de politique partisane ». Le manifeste adresse des reproches au PLQ « inféodé au grand capital des multinationales » et à la CAQ « qui n’hésite pas à jouer malhonnêtement sur les peurs de la population ». Il juge QS « trop multiculturaliste, trop électoraliste, trop socialiste passéiste et trop peu enraciné dans notre histoire et notre territoire ». Le PQ est taxé d’ambivalence; on lui reproche d’être peu à la hauteur des enjeux sur l’indépendance, la démocratie et l’écologie « malgré la présence en son sein d’une gauche nationaliste et un programme renouvelé nettement progressiste ».

Analyse du phénomène

Les promoteurs du manifeste connaissent le terrain des mouvements communautaires et le terreau du Québec susceptible de voir naître et se développer une gauche citoyenne. Cette population se reconnaît peu dans les choix électoraux, malgré son potentiel de mobilisation. Elle est sceptique par rapport aux stratégies partisanes : quand les chances d’élire des députés augmentent, les partis programmatiques (avec un programme fondé sur des valeurs) se transforment en partis opportunistes (sensibles à l’opinion publique et ouverts aux compromis). Les partis ne réussissent pas à construire une offre politique progressiste susceptible de créer un consensus. Les quatre vecteurs de la plateforme peuvent incarner ce consensus, mais il faut y ajouter un préalable, rompre avec le dogme néolibéral, sinon réforme démocratique, partage de la richesse, transition écologique et souveraineté politique demeurent des slogans creux plutôt qu’un programme d’action opératoire.

Les auteurs du manifeste sont plus tendres envers le PQ (ambivalent, pas à la hauteur, mais il s’agit d’un problème conjoncturel) qu’avec QS (multiculturel, passéiste, il s’agit alors d’un problème structurel). Or, non seulement QS est le seul parti à proposer une rupture avec le néolibéralisme, mais c’est le PQ de Lucien Bouchard, s’inscrivant dans le mouvement d’aggiornamento mondial des années 1990 (mise à jour de la doctrine), qui a fait adhérer le PQ social-démocrate au credo néolibéral. S’il existe une philosophie passéiste, c’est ce dogme néolibéral fondé sur la croissance sans limites, sur la privatisation des biens publics et sur l’appropriation des richesses par une minorité parasitaire. Dans 50 ans, nos enfants se demanderont pourquoi leurs parents subissaient ce régime qui met en péril l’humanité.

Pour l’heure, il est sain d’inviter la gauche à se questionner, mais il faut inscrire le débat au-delà des clivages villes et régions, gauche des urnes et gauche citoyenne, droits individuels et droits collectifs. Il faut miser sur ce qui unit (la plateforme) plutôt que sur ce qui divise. Des trolls disqualifient déjà les promoteurs du manifeste, comme ils le font aussi avec Camil Bouchard qui incarne la gauche du PQ, sous prétexte de leur âge. Quelle aberration, car « on a tous les âges de sa vie », comme le soutient Edgar Morin depuis l’observatoire de ses 96 ans! L’approche transgénérationnelle permet de profiter de l’expérience des uns et de l’énergie des autres. En cette année électorale se profile un gouvernement caquiste de la droite populiste, une première opposition libérale puis une gauche marginalisée dans une deuxième et une troisième opposition. Dans ce scénario du probable se dessine celui du possible : Alexandre Taillefer devient chef du PLQ et PKP, chef du PQ (tous deux en réserve de la République), promoteurs d’un néolibéralisme mou, fédéraliste ou souverainiste, qui avec la CAQ monopoliseront l’espace politique québécois. Si un débat constructif de la gauche n’a pas lieu avant les élections, il devra être fait après. 

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