Champ libre

Cartographie de la femme d’aujourd’hui

Par Anne-Marie Duquette le 2018/03
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Champ libre

Cartographie de la femme d’aujourd’hui

Par Anne-Marie Duquette le 2018/03

Camille Deslauriers, professeure au Département de lettres et humanités à l’Université du Québec à Rimouski et auteure de Femme-Boa (2005) et Eaux troubles (2011), nous livre son tout dernier recueil de nouvelles, Les ovaires, l’hypothalamus et le cœur. Des tripes au cœur en passant par le cerveau, jamais titre n’aura si bien convenu à une œuvre. En effet, le livre nous plonge dans l’intimité d’une femme au tournant de la cinquantaine qui se donne dans toute sa force et sa vulnérabilité.

Seize courtes nouvelles constituent le corps du recueil. Des « Heures d’ensoleillement » à l’apéro « Elles boivent », Camille Deslauriers nous entraîne dans la tourmente du quotidien d’une femme qu’on devine essoufflée par sa carrière de professeure, par sa vie personnelle — amants et voisins — et même par ses rêves.

L’anxiété, la solitude, l’épuisement professionnel : les sujets abordés, maintes fois mis en texte par les auteurs contemporains, ont tout à fait le potentiel d’être lourds et remâchés. Or il n’en est rien : Camille Deslauriers s’approprie les maux de cœur, de tripes et de tête d’aujourd’hui en les traitant non seulement avec humour noir, mais avec humilité, vulnérabilité et poésie.

« Nos corps qui ne se touchent plus – hormis le vendredi soir, sur la piste de danse.

Je chancelle – et tu ne me retiens pas.

Je trébuche dans ma jupe trop longue. Je perds le fil l’équilibre la boussole la contenance. Et me tords une cheville. »

La narration varie du « je » au « on » en passant par le « tu » : autant de façons d’illustrer une redéfinition de l’identité, de tâter les frontières, d’être « juste assez collés pour me rappeler que je suis aussi un corps ».

Le recueil s’offre comme une cartographie de la femme d’aujourd’hui : des tripes vers le cerveau, du cerveau vers le cœur. Du passé au présent, de Montréal à Rimouski, de la femme qui cherche l’équilibre à la femme qui joue de sa propre intensité. L’œuvre s’imprègne du territoire, tant physique qu’émotif, pour stimuler les nouvelles. C’est dans l’univers bien campé d’une Rimouski qui nargue le confort par ses vents glaciaux, qui défie les relations par ses kilomètres à parcourir — solidifiant les amitiés et effritant les amours—, à mi-chemin entre Montréal, ville du passé et des ex, et la Gaspésie, région du lever de soleil dans les couvertures chaudes, que la protagoniste vit sa transformation, l’acceptation de son indépendance. C’est dans le décor de cette ville du Bas-du-Fleuve qu’elle constate la façon dont les événements de sa vie empruntent toujours le même chemin : de l’impulsion des tripes — et du besoin de (pro)créer — à la tendresse du cœur, en passant par l’analyse du cerveau. Ainsi, se donnent à voir les rêves qui démembrent violemment les bébés de papier. Ainsi, se donnent à sentir l’agonie d’une guêpe, l’amant de Marrakech et la brûlure du scotch.

Bref, Les ovaires, l’hypothalamus et le cœur est un recueil touchant qui dresse la carte de la vulnérabilité de la femme d’aujourd’hui qui assume ses choix en s’affranchissant du regard d’autrui.

Camille Deslauriers, Les ovaires, l’hypothalamus et le cœur, Hamac, 2018, 128 p.

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Chloé Sainte-Poésie