
Le documentaire La Ferme et son État de l’artiste multidisciplinaire Marc Séguin n’aura fait que passer… tout comme les rapports Pronovost, destinés à réformer le monde agricole. Malgré la bonne volonté du cinéaste, son document n’est qu’un rappel des forces qui s’opposent et de l’inertie politique en matière d’agriculture. Certains diront que c’est déjà ça : dans le coin gauche, l’agriculture de proximité émergente et prometteuse; dans le coin droit, l’agriculture industrielle productiviste et polluante. Des forces qui s’affrontent sous une même enseigne, celle de l’Union des producteurs agricoles (UPA), unique syndicat accrédité. Un affrontement où s’entrechoquent des valeurs sociales, environnementales et économiques souvent diamétralement opposées. Ce spectacle, maladroitement animé par le ministère de l’Agriculture du Québec, nous rappelle encore l’absence d’une politique moderne en la matière, une politique tournée vers l’avenir.
Revaloriser les terres
La réalisation de ce documentaire aurait été une bonne occasion de nous faire parcourir les régions rurales du Québec : celles dont la vitalité économique, il n’y a pas si longtemps, s’articulait autour de l’agriculture. Ne l’oublions pas, c’est en région que se trouve le milieu agricole. Nos communautés rurales en arrachent, car elles ont été dépouillées de ce qui les rendait authentiques et dynamiques : leur agriculture. Ce n’est pas pour rien qu’au Bas-Saint-Laurent, près d’une soixantaine de communautés portent le statut de municipalité dévitalisée. D’après la Table de concertation bioalimentaire du Bas-Saint-Laurent, 80 % des 8 000 hectares de terres dites « dévalorisées » présentent un potentiel élevé de remise en production… Comment est-ce alors possible qu’à peine plus de 30 % du contenu de nos assiettes soit produit ou transformé au Québec? Je le sais, le Québec n’est pas le Danemark et encore moins la Floride. Néanmoins, le voici notre réel défi, situé bien en amont d’un débat sur la taille des fermes qualifiées d’humaines ou non : nous devons gagner en autonomie et ça passe par l’habitation du territoire!
Remettre en production les terres en friche demandera de multiplier des modèles de toutes tailles, mais en donnant la priorité, de façon stratégique, à l’établissement de fermes familiales de proximité et, de surcroît, à vocation biologique. Je suis d’accord avec le président de l’UPA, Marcel Groleau : y arriver nécessite de l’argent, du savoir-faire et de l’accompagnement. J’ajouterais qu’il faudra également de l’ouverture de la part de notre syndicat unique. Croyez-moi, M. Groleau, la tâche sera ardue, surtout si on persiste à vouloir défendre l’intérêt de tout un chacun et son contraire. À parler des deux côtés de la bouche en même temps, on finit par se mordre la langue… En fait, cette relance ne pourra aboutir sans politique agricole. À titre d’exemple, pensons au projet de politique de souveraineté alimentaire proposé par le gouvernement Marois en 2013 qui s’articulait autour de quatre axes : l’identité des aliments du Québec, l’occupation dynamique du territoire, la valorisation du potentiel économique du secteur et le développement durable. C’est maintenant l’heure de la politique bioalimentaire des libéraux. Présentée en d’autres termes, elle vise sensiblement les mêmes objectifs. Elle sera déposée ce printemps. Voyons ce qu’il en adviendra à l’automne 2018 alors que nous serons en élections. Le passé étant garant de l’avenir, nous cogiterons peut-être sur une autre version, cette fois remâchée par la CAQ.
Nourrir le changement
Dans son documentaire, Marc Séguin nous rappelle qu’un changement de paradigme s’impose en agriculture. Fort heureusement, de nombreuses initiatives entrepreneuriales et citoyennes se multiplient en ce sens et leur réussite témoigne de leur pertinence. Certaines rayonnent davantage, le projet de la Ferme des Quatre-Temps mené par Jean-Martin Fortier (auteur du Jardinier-maraîcher) et l’homme d’affaires André Desmarais en est une. Toutefois, même si le documentaire de Marc Séguin ne le mentionne pas, il est impératif de souligner l’immense contribution de la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique (CAPÉ), qui met de l’avant l’agriculture biologique et écologique opérée en circuits courts. Des forces vives sont en action depuis quelques années. Des forces organisées qui façonneront, je le souhaite ardemment, le nouveau visage d’une agriculture portée par nos communautés et capable de nourrir ses citoyens.