Champ libre

Élans, brèche et lumière au cœur de la contrainte

Par Mylène Fortin le 2018/01
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Élans, brèche et lumière au cœur de la contrainte

Par Mylène Fortin le 2018/01

L’enseignement de la création littéraire au sein des universités est sujet à polémique. Des enjeux considérables tendent à ébranler l’institution non pas telle une menace potentiellement destructrice mais bien — du moins je le souhaite vivement — dans une optique de dépassement, formidable de richesses sur les plans intellectuels et artistiques. En novembre dernier, je présentais une communication dans le cadre du colloque international « Nouveaux regards sur le monologue intérieur » à la faculté des Sciences humaines et sociales de l’université de Tunis. Dans le dépliant, on me présentait en tant qu’écrivaine. Les autres participants et participantes, majoritairement des professeurs, des professeures, des doctorants et des doctorantes, n’étaient pas affublés de ce titre. Pourtant plusieurs écrivent, mais — on me le confirmera plus tard — la perception de l’artiste universitaire n’est pas partout bien vue. Des collègues de la Sorbonne me révéleront qu’en France, notamment, parler de sa pratique personnelle n’a à peu près pas sa place dans le cadre d’un colloque (ce n’est pas le cas aux États-Unis, on n’a qu’à être fan comme moi de Siri Hustvedt pour s’en rendre compte). Alors qu’est-ce que je fais, moi, étudiante-écrivaine aux prises avec l’ombre d’un sentiment d’illégitimité?

            Queneau affirmait que « c’est en écrivant qu’on devient écriveron ». J’ai publié deux romans, quelques nouvelles et un guide d’improvisations littéraires. Ce n’est pas grand-chose, mais j’assume l’épithète, espérant que le métier continuera doucement mais sûrement à « rentrer ». Car c’est bien vrai. J’écris. Ma vie s’articule autour de ce désir-besoin inextinguible. Et si je me suis inscrite à l’UQAR, c’est bien pour parfaire mon art. Surtout pas pour l’entraver, voire — perspective révoltante qui me fait trembler — le domestiquer.

 

            Ma communication intitulée « Vie intérieure projetée : dialogisme “schizophrénique” entre appartenance et affranchissement dans D’après une histoire vraie (2015) de Delphine de Vigan » s’articulait autour de ce roman récemment porté à l’écran par Roman Polanski. J’ai commencé ma présentation en évoquant ma sensation intime de déchirure, analogue à celle présentée dans le roman de Delphine de Vigan. Il s’agissait de mettre en relief la particularité d’une posture artistique à la première personne où le narrateur se fait à la fois sujet et objet de sa propre énonciation : quand j’écris, « je » « me » parle. Le roman D’après une histoire vraie donne à ressentir le vertige inhérent à cette double instance dans laquelle « je » clignote et « me » voit d’un regard neuf. Si la notion de monologue intérieur implique une polyphonie, il faut voir que dans le cas de D’après une histoire vraie, on a affaire à un dialogue. En effet, le personnage central, Delphine, projette son moi au point de voir littéralement s’incarner la figure de l’autre — sorte d’alter ego ou de projection spéculaire — dans un personnage distinct nommé « L ». La transposition d’un phénomène de dualité personnelle dans une relation amicale perverse et toxique met en relief la manière dont l’écriture, dans son mouvement, brise et remet au monde. Cette sensation d’être rompue s’avère insupportable et nécessaire. La seule manière d’y survivre est de maintenir la cadence, le rythme, la respiration. Ce n’est pas un choix, mais un mode de vie où survie psychique rime avec perceptions renouvelées, sans cesse reformées, dérangées, autrement informées.

            Voilà pourquoi j’écris.

            Encore.

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