Champ libre

Patineux un jour, patineux toujours

Par Le bruit des plumes le 2017/11
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Patineux un jour, patineux toujours

Par Le bruit des plumes le 2017/11

En 2015, en concordance avec la politique culturelle de la MRC des Basques, les Compagnons de la mise en valeur du patrimoine vivant de Trois-Pistoles mettaient en branle un projet d’enquête patrimoniale. De dévoués enquêteurs sont partis à la chasse au trésor à travers la MRC pour extirper du fond des tiroirs de précieux bouts de souvenirs, des instants d’incurable nostalgie, de grands moments de bonheur oublié. Porteuse de ces histoires, l’équipe vous propose de suivre sa chronique dans laquelle elle présente le fruit de ses recherches en vous racontant Les Basques. 

Novembre. Le début du compte à rebours jusqu’à la longue hibernation. Pour certains, l’hiver est un passage obligé aux allures d’éternité, sous les verrous d’une froidure antipathique. Pour d’autres, c’est le sentiment vif d’être en vie lorsque la fraîcheur d’un air nordique emplit leurs poumons, lorsque les coups de patin se succèdent et accélèrent, suivant la cadence d’un cœur battant la chamade.

Pour ces amoureux du polaire, novembre est un doux novembre. Le nez collé à la fenêtre, d’une patience qui jamais ne s’effrite, ils attendent que les premiers flocons daignent se balancer dans le vide, délicatement se déposer, formant la première couche d’un lit de marbre où les lames laisseront bientôt leur marque. Ces amoureux peuplent les quatre coins des Basques, où jadis, les patinoires extérieures accueillaient des joutes endiablées ou les prouesses d’un acrobate des glaces. Et parmi eux, certains ont depuis accroché leurs patins, d’autres perpétuent la tradition, mais tous se souviennent…

Fabien se souvient que même le plus aride des -25 degrés, le forçant à se camoufler sous d’épaisses couches de laine et de confiance inébranlable, ne l’empêcherait pas de fouler la patinoire de Sainte-Françoise. Il se souvient des blessures de guerre récoltées lorsque, se prenant pour Guy Lafleur, une puck gelée trouva chemin jusqu’à ses « parties », refroidissant du coup ses ardeurs de joueur étoile. Sans oublier le gros Clovis, lui qui vit sa glorieuse saison hypothéquée par une passe captée sur la « palette du genou », comme on s’amusait à le dire. 

Louise se souvient de la patinoire familiale à Trois-Pistoles, où du haut de ses cinq  ans, ses bottines insérées dans les patins de son frère, elle s’agrippait fermement à une chaise qui l’accompagnait dans ses balbutiements d’apprentie. Elle se rappelle lever les yeux, les rayons de soleil intermittents qui l’éblouissent se faufilent entre les vêtements suspendus sur la corde à linge tendue de tout son long au-dessus de la surface de jeu. Elle entend résonner dans sa mémoire l’accordéon de Cyprien Pelletier qui, au milieu des patineurs, pianotait et soufflait les notes d’une valse entraînante à laquelle personne ne pouvait résister.

Napoléon se souvient que la passion du hockey enflammait les foules, qu’elle suscitait une féroce rivalité entre les villages, alimentée par une haine des arbitres hâtivement jugés injustes. Il se souvient des colosses de Saint-Éloi, ces impressionnants géants de six pieds, et aussi des satanés « mangeux de pucks », ces indélogeables cabotins qui ne cédaient jamais leur place. Il se rappelle les bordées de neige à hauteur des bandes et de cette fameuse spectatrice qui, se penchant pour saluer un joueur, tomba sur la glace à la renverse. Et comment oublier la saga de Réal Dionne? Lui, qui ayant reçu une rondelle au visage, lèvre fendue, se rendit chez le médecin pour se faire recoudre. L’aiguille du docteur se cassa dans sa lèvre, mais Réal n’en avait que faire : il devait terminer la partie coûte que coûte. Dur à cuire comme pas un, on ne lui retira ce corps étranger qu’une fois l’été venu… 

Nelson se souvient à quel point il était difficile de s’arrêter, même une fois la noirceur tombée sur le lac à Dollard, même si ses pieds frigorifiés perdaient toute sensibilité. Il se souvient que « dans l’temps », au diable le banc des punitions, on réglait le sort des brutes sur-le-champ. Pas de deux minutes, mais deux coups de bâton! Il se remémore l’ancien poulailler qu’ils ont déménagé, roulé sur deux troncs d’arbre jusqu’aux abords du lac, pour abriter les braves, pour réchauffer les inconditionnels. Et il y avait le gros André Rioux qui, allant récupérer la puck, vit la glace trop frêle céder sous ses pieds, sous les regards amusés de ses camarades de joute.

Novembre, doux novembre. Que ta première neige ait encore son effet sur les livres d’histoires des patineux d’ici. Que les plus nostalgiques se ferment les yeux pour que défilent devant eux ces moments précieux à patiner sous un soleil cajoleur ou la féérie d’un ciel étoilé. Que les plus fringants préparent leurs pelles et leurs tuyaux d’arrosage pour que dans les villes, les forêts et les rangs, de nouvelles patinoires deviennent les témoins de premiers bobos, engelures, chutes, élans et souvenirs heureux.

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