Champ libre

« C’est à mon tour aussi qu’on me fasse naître »

Par Marise Belletête le 2017/11
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Champ libre

« C’est à mon tour aussi qu’on me fasse naître »

Par Marise Belletête le 2017/11

Tout juste paru aux éditions de la Tournure, Les garçons au vent est le premier recueil de poésie de Roxane Nadeau. Elle y présente un univers aux résonances mystiques, où se rejoignent les processions de sœurs sorcières, d’enfants perdus et de photographes en mal de lumière, évoluant le long de plages, d’îles et de chambres noires devenues lieux de rituels.

Les vers de Nadeau font entendre les plaintes et les prières de ceux qui attendent une deuxième naissance à « persévérance de mues », espérant « les promesses d’un corps neuf ». De ceux qui, prisonniers des apparences, cherchent à se délester des « images gangrénées » et de leurs multiples pièges : « quel regard se cache derrière l’appareil / en m’immortalisant? / incapable de me tenir entier, / tu m’esthétises / en une poupée de photons ». 

L’identité y demeure une question trouble, elle peine à être saisie et définie : « tu m’as appris quelque chose qui peut saisir la forme du vent / quelque chose à propos de la lumière, dans sa vraie couleur / la personne qu’il reste quand mon essence s’écoule de moi, / une pluie de quelqu’un d’autre sur ma peau / j’ai un mot sur le bout de la langue / qui n’existe même pas ».

Mais reste l’espoir de se retrouver entier, malgré tous les carcans qui y font obstacle. Dans les poèmes des Garçons au vent, cette quête est aussi synonyme de sacrifices. De nombreuses pertes jalonnent le parcours des personnages qu’on y rencontre : des peaux dont ils se dévêtent aux accidents qui les transforment, des croyances qu’ils rejettent aux êtres qu’ils abandonnent derrière eux. Plusieurs images marquantes du recueil évoquent ces deuils inévitables dans la poursuite d’une existence autre, nouvelle, en présentant des êtres et des territoires qui cherchent à renaître de leurs cendres.

Malgré quelques tournures chargées qui alourdissent à certains moments l’écriture, le style soutenu de l’auteure parvient, dans des passages plus sobres et d’une grande justesse, à rendre l’absence et l’espoir avec les mots qui nous manquent : « j’ai oublié le mot exact que m’évoque la cage vide du parc Lepage / d’où le renard s’est enfui / tu m’as dit qu’il ne reviendrait pas, mais je l’attends ».

Sensibles et incarnées, lumineuses ou sombres, différentes voix s’entremêlent dans ce recueil, renouant par moments avec le mythe. Parmi les échos des spectres qui rôdent et les appels manqués des sirènes, les chants des « garçons au vent » invitent le lecteur dans cette chorale où chacun réinvente sa partition perdue.

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