
En ce moment, je lis les Harry Potter un peu parce que je veux voir si ça a laissé une trace vingt ans plus tard, mais aussi pour échapper à mon retour de vacances, pour autant qu’un travailleur autonome puisse prendre des vacances.
J’en parle tout le temps, si ce n’est pas directement, c’est en y faisant référence durant une conversation avec amis et amies; ce n’est franchement pas difficile avec toutes les images sur l’extrême droite politique en ce moment.
Je veux dire, le Choixpeau magique nous avait avertis de ce qui allait se passer si « les maisons » ne se réunissaient pas?
Et ce n’est certainement pas un hasard si cette relecture d’Harry Potter m’a permis de mieux apprécier le livre La vie littéraire de Mathieu Arsenault que j’avais lu il y a quelques années, mais dont je n’avais pas retenu grand-chose.
« je ne me reconnais ni dans robert lalonde ni dans robert lepage ni dans chrystine brouillette arrêté de me prendre pour Hermione Granger dans ma cuisine et d’essayer de faire des stupéfix sur le chat je suis fatiguée de communiquer je veux foxer le monde et pisser dans mon bain »
Foxer le monde, se prendre pour Hermione Granger, espérer l’arrivée d’un hibou qui nous dira qu’on n’appartient pas vraiment à ce monde-ci, mais à un autre plus beau, plus merveilleux, je crois que c’est ce dont on a le plus besoin en ce moment.
Arsenault encore :
« Wazup les filles de mon âge faites du bruit moi qui dans ma vie de jeune parmi les jeunes n’ai pour les romans et les relations complexes ni le temps ni la raison ni les sentiments ni l’orgueil ni les préjugées ni mansfield park »
Pour l’avoir vu à Sherbrooke, le texte de La vie littéraire dans sa version scénique gagne en force. Je ne sais pas si c’est le fait d’entendre le texte plutôt que de le lire, ou bien le jeu d’acteur très simple et très juste d’Arsenault, mais on s’y retrouve dans quelque chose de plus grand que le quotidien des écrivains et des écrivaines.
Durant une heure et vingt, Mathieu Arsenault nous parle, à travers son texte porté dans sa version papier par une narratrice, de l’incessante quête identitaire de cette génération qui est la mienne, élevée avec l’arrivée d’Internet, les jeux vidéo et une littérature jeunesse plus finement écrite qu’auparavant :
« une sorcière s’était penchée sur son berceau et maudissait cette enfant à peine née en disant ta génération sera capable de tout vous saurez réinventer la roue vous saurez vivre intensément vous saurez accomplir les rêves de toute une civilisation vous saurez retenir tous les faits mais oublier les gens vous serez écoutés par personne et parler tout de même parler par personne par jamais par rien »
Comparativement au livre, publié aux éditions du Quartanier, on n’a pas l’impression d’assister quelqu’une qui veut brasser la cage, cracher sur l’intelligentsia littéraire (ou presque). Dans le spectacle, la narratrice me semblait compatir, ouvrir les bras et dire seulement la vérité sur le monde d’aujourd’hui : rien ne va nous sauver de l’ennui qu’on ressent quand on se lève le matin, mais il existe des techniques pour se réfugier et recevoir un peu moins de coups.
« À quoi ça peut bien rimer la poésie il paraît que ça rime la poésie il paraît que ça te creuse et que ça te laisse en miettes c’est une cochonnerie terrible et pourtant je serais prête à tout abandonner pour elle mais j’aimerais savoir si c’est possible de continuer tout de même à pitcher de petits oiseaux fâchés qui explosent parce que j’aimerais bien unlocker l’achievement king of the caves avant que tout ce blanc de page ait fini de tapisser l’intérieur de ma vie. »
Je vous le dis : allez voir la pièce La vie littéraire le 4 novembre au Théâtre du Bic et, en attendant, n’écoutez pas de documentaires sur Vice, relisez Harry Potter, ou regardez les films, même s’ils sont un peu moins bons.