
L’espace « Modeler le futur » du Salon du livre de Rimouski offre l’occasion d’imaginer collectivement des solutions porteuses pour le développement de notre territoire, en posant d’abord un regard critique sur le fonctionnement de notre système et les choix sociétaux que nous faisons collectivement. Fier partenaire de l’événement, Le Mouton Noir publie jusqu’à novembre des entrevues exclusives avec certains auteurs de l’édition 2017. Ce mois-ci, Le Mouton Noir a interviewé Pierre Batellier et Marie-Ève Maillé, coauteurs d’un premier livre intitulé Acceptabilité sociale : sans oui, c’est non.
Mouton Noir– Qu’est-ce qui vous a incité à écrire votre livre Acceptabilité sociale : sans oui, c’est non?
Marie-Ève – Fin 2013, j’ai gagné le concours d’essais Bernard-Mergler avec un texte sur le controversé projet éolien de l’Érable. Ce prix venait avec la chance d’être édité aux Éditions Écosociété. De fil en aiguille, on m’a offert de transformer ce projet en essai sur l’acceptabilité sociale. J’ai évidemment accepté, mais j’avais l’impression de refaire une thèse, alors que la première m’avait déjà épuisée… Dans le cadre de ma recherche, j’ai rencontré Pierre qui venait de publier une note de recherche sur le sujet. Alors qu’on avait échangé peut-être trois fois dans notre vie, je lui ai offert d’écrire le livre avec moi; ça me prenait un collègue pour avancer! C’était risqué, mais ça s’est avéré une décision très judicieuse : on a fait une équipe du tonnerre!
Pierre – Oui vraiment! Ce livre est d’abord une rencontre et une formidable collaboration. Je ressentais le besoin de partager, en dehors du cadre scolaire, plusieurs apprentissages réalisés à travers des mobilisations citoyennes. Je voulais aussi contribuer à combler le fossé entre le traitement qu’on fait de ces mobilisations dans les médias et dans certains milieux d’affaires et la réalité constatée sur le terrain.
M. N. – Quel impact sociétal souhaitez-vous générer?
Marie-Ève – On veut d’abord aider les gens qui vivent des conflits liés au développement des grands projets à mettre des mots sur ce qu’ils vivent. On veut les outiller dans le débat en rendant visibles plusieurs nuances qu’on a tendance à oublier. Mais on ne s’adresse pas qu’aux militants ou qu’aux citoyens, on s’adresse aussi aux élus et aux promoteurs, dont plusieurs sont très intéressés par notre ouvrage. On pense qu’on peut aider les gens à se comprendre et, peut-être aussi, à se parler.
Pierre – L’idée maîtresse est en effet de consolider ou de construire des ponts entre les protagonistes des grands projets en sortant des préjugés qui limitent leur rapprochement.
M. N. –Pourquoi est-ce encore d’actualité de parler d’acceptabilité sociale alors qu’il y a de plus en plus de processus de consultation citoyenne et de projets bâtis en concertation?
Marie-Ève – C’est vrai qu’il y a de plus en plus de promoteurs qui se rendent compte de la nécessité d’agir en concertation avec les différentes parties prenantes. Parfois, ils l’ont appris à la dure avec des projets qui suscitaient de fortes contestations, qui ont été retardés ou carrément bloqués. Plusieurs d’entre eux ont compris qu’on ne pouvait plus simplement faire comme avant. Avec le temps, les promoteurs et les décideurs ont développé des façons relativement bonnes d’évaluer les impacts sur l’environnement. Maintenant, il est temps de développer des compétences similaires en ce qui concerne le milieu humain, et le débat sur l’acceptabilité sociale sert à ça.
Pierre – Beaucoup de chemin a été fait par plusieurs joueurs. Mais si certains décideurs conservent une vision caricaturale et sans nuances des mobilisations citoyennes, la capacité d’agir et de participer des citoyens restera minée et les décisions publiques n’en sortiront pas réellement bonifiées.
M. N. – À la lumière de la conjoncture actuelle en matière d’acceptabilité sociale, comment entrevoyez-vous le Québec dans 20 ans?
Marie-Ève – Je souhaiterais voir une meilleure compréhension et une meilleure prise en compte des impacts sur le milieu humain des grands projets de développement, y compris les impacts sur les femmes. J’aimerais également que nos consultations publiques changent, qu’elles servent réellement à influencer les choses et qu’on se donne les moyens d’y reconnaître la contribution citoyenne.
Pierre – Tout à fait. Je souhaite qu’on fasse confiance à l’intelligence des citoyens, qu’on reconnaisse leur capacité à décider. Par contre, tous ces changements nécessiteront un leadership fort provenant à la fois du milieu des affaires et de nos gouvernements, ainsi qu’une vigilance continue des citoyens sans quoi, c’est plus le cynisme et la défiance qui guettent.
M. N. – Ce sera votre première participation au Salon du livre de Rimouski en novembre prochain. Qu’allez-vous aborder dans votre conférence « Modeler le futur »?
Pierre – On aborde quelques grands mythes ou idées reçues au sujet de l’acceptabilité sociale : par exemple, on déconstruit l’idée de la majorité silencieuse favorable au projet, le fameux syndrome « pas dans ma cour », l’idée qu’acceptabilité sociale ne veut pas dire unanimité, ni que les citoyens sont trop émotifs pour décider ou encore qu’il faut choisir entre créer des emplois ou protéger l’environnement…
Pierre Batellier et Marie-Ève Maillé, Acceptabilité sociale : sans oui, c’est non, Écosociété, 2017, 304 p.