
On a placé des chaises en cercle, dressé un buffet de pâtisseries cheaps. On se croirait aux AA. Les néons sont allumés même si le soleil cogne aux fenêtres. C’est pour prendre de meilleures images. Marc a installé tout son bazar de caméras, trépieds, micros. Stéphanie fait la maîtresse au tableau. Elle écrit des mots comme énergie, espace, regard intérieur. Mon rôle, pour les heures à venir, sera de prendre des notes. On prépare la première de trois rencontres avec la communauté qui serviront d’inspiration à la création du spectacle Ailleurs si on y est du collectif d’artistes rimouskois formé de Thomas Gaudet-Asselin, Marc Lepage, Jean-Maxime Lévesque, Stéphanie Beaudoin et Nadia Gagné. Portrait de la première
On en attendait onze. Ils sont dix. Plusieurs se connaissent déjà; c’est Rimouski. On se présente quand même, à tour de rôle, en prenant soin de mentionner d’où on vient, si c’est pertinent de le faire. C’est pertinent. Du lot, il y a plusieurs immigrants et immigrantes, plus ou moins néo-Rimouskois et néo-Rimouskoises. Ce n’est pas un hasard. On a invité ces gens pour aborder des thèmes liés à l’exil, à l’enracinement, à l’impulsion du grand départ.
Tout ça nous servira à alimenter la création d’un spectacle multidisciplinaire, Ailleurs si on y est, qui sera présenté en mars 2018 au Théâtre du Bic. Un spectacle que je m’efforce de ne pas écrire avant d’être arrivé au bout de la série d’ateliers d’expression corporelle qui débute aujourd’hui. Un prétexte, au fond, pour rencontrer ces gens et les filmer.
L’approche « théâtre social », c’est l’idée de Stéphanie Beaudoin. Au-delà de faire une cueillette de témoignages parlés ou écrits, on capte des images de corps en mouvement. « Pour tenter de voir si les participants et les participantes en processus se sentent plus directement représentés dans le spectacle final si leur image est carrément présente sur scène » dit Stéphanie. Au Bic, Stéphanie et moi serons entourés de ces projections, contrôlées par Marc, VJ en direct. Du moins, c’est ça le plan.
Nos dix volontaires sont alignés contre un mur de la classe, une valise à la main. Stéphanie mène le jeu : « Dans votre valise se trouve la personne que vous auriez pu être. Chacun votre tour, vous irez déposer votre valise à l’autre bout de la pièce, puis vous revenez à votre place. »
Pour certains, le retour est plus léger, on s’est délesté d’un poids. D’autres ont le regard qui se voile en cours de route. Marc filme le tout sous plusieurs angles. Je prends des notes illisibles, incapable de baisser les yeux.
Les exercices s’enchaînent au courant de l’après-midi. On se déplace dans l’espace, on s’initie aux ombres chinoises, on développe un langage chorégraphique. On oublie les caméras. Nos participants n’ont pas tous le même niveau d’aisance corporelle, mais leur engagement est total. La confiance s’installe dans le groupe, petit miracle de sainte Stéphanie, formatrice d’expérience.
À la fin de la journée, on revient sur ce qu’on a vécu. Tout le monde est à fleur de peau. Quelqu’un pleure. Les réactions fusent : « Je me suis dit des choses en vous les disant. » « Ça fait moins mal de dire certaines choses par le corps que par les mots. »
On a un peu l’impression d’avoir offert une séance d’art-thérapie. Notre travail de création se poursuit, il nous reste beaucoup à faire. Mais il me semble qu’on vient de toucher à quelque chose d’essentiel.