Actualité

Une gauche dans le réel

Par Rhéa Jean le 2017/05
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Une gauche dans le réel

Par Rhéa Jean le 2017/05

Bien que souvent trop discrets, nous sommes de plus en plus nombreux à constater une dérive marquée d’une partie de la gauche vers des apories postmodernes stériles. Ceux que l’on pourrait accuser de « dénaturer » ainsi les valeurs de la gauche se caractérisent, entre autres, par une tendance à cultiver une conception fantasmatique de soi, allant jusqu’au déni de la réalité. La gauche se caractérise certes par sa capacité à rêver l’humain autrement, mais le discours postmoderne sur les sexes prôné par cette gauche nouveau genre a plus à voir avec une mystification de la réalité qu’avec une réelle libération des mœurs ancrée dans un projet collectif porteur d’espoir. S’ajoutent à ce problème un mépris des connaissances sur l’histoire de l’humanité et une volonté de faire taire ceux et celles qui expriment des critiques à l’égard de ce discours.

Il existe pourtant des gens de gauche qui ne se reconnaissent pas dans cette doxa contemporaine et qui expriment des critiques à son sujet. On retrouve de telles critiques dans les écrits du philosophe français Dany-Robert Dufour. Professeur à Paris-8, lieu emblématique de l’esprit soixante-huitard où l’on peut encore espérer retrouver quelques bribes de contestation, cet intellectuel entretient une certaine parenté avec Jean-Claude Michéa, autre pourfendeur de cette dérive de la gauche dans le giron du libéralisme et du postmodernisme (ce qui fait bien l’affaire du capitalisme). Après avoir dénoncé le divin Marché (dans un livre portant ce titre), Dufour a poursuivi sa réflexion dans son ouvrage L’individu qui vient… après le libéralisme (paru chez Denoël en 2011), dans lequel il fait part de son constat concernant l’actuelle crise sociale, politique, écologique, économique et morale.

Selon lui, nous vivons dans une ère de pléonexie, c’est-à-dire que nos sociétés souffrent de toujours en vouloir plus et de ne pas connaître ou admettre les limites. On pense bien sûr à ce qui a trait à la surconsommation et à ses impacts néfastes d’un point de vue écologique et économique. Mais on pense également à la manière dont nous nous concevons en tant qu’être humain, en niant notre spécificité humaine et nos limites. À cet égard, Dufour est l’un des rares penseurs actuels à avoir le courage d’aborder la question de la transsexualité d’un point de vue critique, ce que cette nouvelle « gauche » postmoderne ne peut supporter, ayant décidé de faire de cette thématique sa nouvelle « révolution », aux accents glamour. Même s’il existe pourtant beaucoup de mythes à déboulonner encore, c’est sur le banal mais fascinant réel du dimorphisme sexuel que les chantres de l’identitaire ont choisi de s’attaquer, ce qui ne va pas sans poser de nombreux problèmes, que le philosophe soulève.

Dufour nous met ainsi en garde contre la révolutionnite chronique qui semble frapper le courant postmoderne : toujours plus de changements, toujours plus de libération, semble-t-on dire, en plus de reprocher à ceux qui refusent de suivre le courant d’être du côté des conservateurs nostalgiques des grands récits théologiques et de la surrépression. Dufour n’est pas de ces nostalgiques; il prône une critique des dominations, mais il croit que l’idée de libération chère à la gauche a été usurpée par le postmodernisme et que « quand on se libère sans savoir de quoi au juste, on a toutes les chances de tomber sous l’emprise du Marché, puisque lui joue explicitement sur une libération totale des passions et des pulsions ». À cet égard, on n’a qu’à voir à quel point l’industrie pharmaceutique et les médias ont flairé la bonne affaire concernant le « changement de sexe »…

Dufour rappelle qu’il est « impossible de changer de sexe ». On peut bien vouloir bousculer les rôles traditionnels et fantasmer sur le changement de sexe, il reste que « l’assertion “changer de sexe” […] est donc littéralement fausse ». Il ajoute que les lois de la nature s’appliquent encore à l’humanité et que « notre seule liberté n’est pas de s’en affranchir, mais, au mieux, de jouer avec ce qui n’est pas pareil ». La société actuelle tend pourtant de plus en plus vers une « loi postmoderne qui reconnaît le paraître pour l’être », ce qui, comme le constate le philosophe, force tout le monde à mentir. On mesure encore mal l’impact social de ce mensonge endossé par les lois. Dufour prédit que si nous ne sortons pas de ce courant de pensée, les personnes qui osent dire la vérité sur les sexes seront bientôt celles qui seront sur le banc des accusés (ce qui est déjà un peu vrai à l’heure actuelle).

Dufour rappelle que le devoir du philosophe est de rester critique devant ce que l’on cherche à tout prix à nous présenter comme une « avancée » sociale. On doit se demander si ce qu’on nous présente comme une libération n’est pas en réalité « l’occasion de nouvelles aliénations, totalement inédites ». Il faut en outre éviter de « s’engager comme un étourdi dans une lutte grandiloquente » visant les mauvaises cibles et chercher constamment à agir avec discernement.

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