
Découpé par les saisons, ce petit livre au titre immense, Tout doit partir, nous interpelle par un récit très touchant sur la mort du père de l’auteure : Johanne Fournier, aussi connue comme cinéaste. Au récit de la disparition imminente et de la mort de son père (optométriste à la retraite et ancien directeur de la revue d’histoire à Matane), l’auteure intègre les difficultés et les doutes liés à la création. Ces thèmes sont aussi ceux que l’on retrouve dans son dernier film Le temps que prennent les bateaux, tourné dans le port de Matane.
En Gaspésie, où elle est revenue vivre par amour en 1997, la cinéaste travaille en solitaire. Loin de ses amies des grandes villes et de sa participation à Vidéo Femmes à Québec, elle décrit, dès la première page et dans un style bien senti, l’ambiance de ses tournages.
« Je tourne seule, la caméra et le trépied dans la voiture, de la bouffe, des motels vides, des cabines, la mer et la route, chaque film contenant le prochain. […] Deux ans pour faire un lent métrage, est-ce long? » se demande-t-elle.
« Pendant toute une année, j’ai fini par faire partie du décor, à force d’être là, dans la danse des hommes et des machines. Entre le temps qu’il fait et celui qu’il faut. Pour construire les bateaux, les regarder partir, les attendre arriver, les remplir, les vider. Le temps des hommes qui larguent les amarres. Le temps des femmes qui trient les crevettes. Le temps de ceux qui ne savent plus ce qu’il y a dans le fond de leur valise, à force de partir-revenir vers les mines et les grands barrages du nord du Québec. »
Portée par la mort de son père à revenir sur son enfance et sur la vie de ce père en Gaspésie, Johanne Fournier nous fait découvrir, par son écriture, sa maison au bord d’une rivière, à la frontière de la forêt. Elle nous fait sentir de l’intérieur l’immensité du territoire gaspésien, les transformations de la nature selon les saisons et le sentiment d’éloignement et d’abandon vécu par beaucoup de Gaspésiens. Tout ferme, on coupe, on abandonne les régions… Mais, il y a ces femmes et ces hommes qui sont là, chez eux. Il y a cette nature grandiose. Il y a la mer, les oiseaux, les fleurs, les odeurs de l’enfance : « La rhubarbe qui cuit embaume la maison », et les amis de la Gaspésie (de la galerie Espace F à Matane entre autres) qui participent au nouveau dynamisme de la région. Et ceux, comme elle, qui pensent dès le printemps à « laver le paysage » et même, à effacer les traces inappropriées des touristes.
« Sur la plage, on ramasse les bonbonnes de propane rouillées par l’hiver et on remplit le coffre de la voiture des bouteilles de plastique renvoyées par la marée. Tout à l’heure, nous déferons les inuksuit que les touristes ont construits sur les rochers pour marquer leur passage. Ensuite, assis dans le sable devant l’infini, on sera contents de cette journée passée à laver le paysage. »
Pendant ce temps, les films de Johanne Fournier voyagent — elle-même surprise qu’ils soient déjà des documents d’archives. Le temps passe : le traversier de Matane sera remplacé par un nouveau. Elle finira par faire des boîtes, et des photos des affaires de son père. Sa fille deviendra cinéaste comme elle à la suite d’une formation et de ce collage de lettres vidéo qu’elles se sont envoyées d’un bout à l’autre du Canada : « Ma mère est cinéaste, elle a vingt ans de métier, j’ai vingt ans, je veux devenir cinéaste. »
Un premier livre plein de bourrasques, d’eau qui ruisselle. Un récit rempli d’images désarmantes comme dans ses films sur « la fragilité humaine » et aussi sur l’espoir malgré les difficultés de l’éloignement, malgré les routes et les habitants du littoral gaspésien qui sont pris en otage par la montée des eaux lors des violentes perturbations atmosphériques.
Johanne Fournier, Tout doit partir, Léméac, 2017, 77 p.