
Les nouvelles sur le front du climat global ne sont pas bonnes. Tout récemment, les projections moyennes de montée des océans ont triplé pour l’échéance de 2100. Toutefois, l’urgence d’agir ne vient pas uniquement des conséquences environnementales de la consommation d’énergies fossiles. Tentons de clarifier cette urgence sous un angle rarement appréhendé, soit la rentabilité de l’extraction de l’énergie.
Il faut de l’énergie pour accéder à l’énergie. C’est le surplus net d’énergie obtenu de cet effort qui justifie toute extraction. Un rendement d’un pour un, une quantité investie pour une obtenue, est sensément sans intérêt.
À terme, on ne pourra donc pas extraire l’ensemble des réserves fossiles disponibles : il en restera énormément sous terre, dans la mesure où l’effort énergétique requis pour aller les chercher sera une perte d’énergie nette et une perte d’argent.
Énergie et transformation du monde
L’énergie a toujours été nécessaire pour concevoir nos milieux de vie, notamment pour bâtir les villes. La faible puissance du corps humain, souvent assistée de certains animaux et parfois de l’énergie mécanique de l’eau, a permis la lente construction des villes prémodernes. Au XIVe siècle, il fallait un siècle pour bâtir une cathédrale.
Puis est venue la puissance époustouflante des énergies fossiles : charbon, pétrole et gaz. Un seul baril (159 litres) de pétrole équivaut au travail annuel de 12 hommes œuvrant 24 heures sur 24. Ainsi, il ne faudra pas plus de trois ans pour construire le nouveau pont Champlain à Montréal, un défi énergétique gigantesque.
À ce compte, en termes d’économie biophysique, un litre d’essence devrait coûter plus de 1 500 $. Le prix payé à la pompe est, tout compte fait, dérisoire, une quasi-gratuité.
On ne produit pas l’énergie, on la capte
Les sociétés humaines ne produisent pas l’énergie. L’ingénierie a permis de déployer des moyens pour capter ce qui se donne dans la nature dans des formes plus ou moins denses et concentrées. La capture des « fossiles » a produit des surplus énergétiques nets élevés. La civilisation capitaliste industrielle a pu s’étendre à la planète grâce à de tels rendements globaux.
Ainsi en est-il des rivières harnachées à grands coups de machines à pétrole pour produire de l’hydroélectricité. Hydro-Québec est largement un sous-produit du pétrole.
La puissance disponible a permis d’aménager des villes faites presque exclusivement pour l’automobile et de jeter, en termes urbanistiques, les bases de la croissance industrielle et des empreintes écologiques excessives.
En Occident, vers 1930, le surplus net d’énergie captée dans les puits de pétrole était de l’ordre de 1 à 70 en moyenne. Le déclin significatif ne commencera que 40 ans plus tard, aux États-Unis en particulier, et entraînera en 1973 le premier choc pétrolier. Aujourd’hui, 81 % des réserves déjà entamées ou en production sont en déclin. Le rendement du mix énergétique global, toutes sources confondues, était de l’ordre de 1 à 15 ou 20 en 2010.
Un rendement énergétique global à la baisse laisse devant moins de « possibles », dont ceux de pouvoir opérer la transition énergétique, de conserver les infrastructures et les services existants en l’état, et rend toujours plus difficile d’honorer les dettes privées et publiques à leur hauteur actuelle, lesquelles sont aussi quelque part des actifs monétaires, par exemple des fonds de retraite.
Les travaux d’Ugo Bardi, ingénieur chimiste membre du Club de Rome, et de Tim Morgan, analyste financier de la Cité de Londres, laissent entendre qu’un rendement énergétique de moins de 1 à 10 signifierait un effondrement économique abrupt en Occident.
L’urgence est évidente. Il faut proposer une vision des territoires moins dépendante des grandioses surplus nets d’énergie.
À l’échelle de la ville, cette vision pourrait s’enchâsser dans une politique prônant :
- l’électrification des transports,
- la densification de l’habitat,
- l’isolation thermique des bâtiments (au plus près de la norme de la maison passive),
- la conception et le réaménagement de la ville en regroupant des villages urbains avec autonomie des quartiers en services de proximité,
- la mobilité active, accompagnée d’une prédominance des véhicules vraiment légers (moins de 500 kg) et à accès partagés,
- des vitesses réduites à 30 km/h en ville,
- des services de livraison de quartier,
- l’agriculture et la nature en ville.
À l’échelle de la « ville-région » :
- la régionalisation de la propriété du sol et son intendance démocratique avec une représentation politique des non-humains,
- la complémentarité fonctionnelle accrue et les circuits courts d’échanges économiques,
- des trames vertes et des corridors écologiques verts et bleus.
Cette vision relève d’une coordination serrée entre les populations, les entreprises et les pouvoirs publics à l’échelle de la « ville-région », tout en exigeant les moyens de mener ces actions avec des partenariats soutenus à de plus hauts niveaux politiques.
1. Ce texte est une version abrégée de « La vie après la croissance », parue sur le site Fiducie foncière régionale de l’Estrie en décembre 2016.