
Précédée de ses musiciens, Lisa Leblanc fait une entrée tout en douceur sur la scène du Cabaret des mauvaises habitudes à la Maison de la culture de Rivière-du-Loup. Après une prestation endiablée des Deuluxes – Anna Frances Meyer (voix, guitare) et Étienne Barry (batterie, guitare et voix) –, c’est maintenant au tour de l’Acadienne de Rosaireville de harnacher sa guitare électrique pour passer à l’attaque. La musique est « étcheurante », disons-le franchement d’entrée de jeu. Mais si la prestation musicale s’avère d’une intensité qui par moments vous fait littéralement bondir de votre siège, la personnalité de la chanteuse ajoute une telle plus-value au spectacle qu’on prend son pied juste à écouter la radieuse Lisa et à la voir prendre tant de plaisir sur scène.
Lisa est simple, enjouée, comique, rieuse, lumineuse. Il s’établit immédiatement avec le public une réelle complicité, une familiarité d’autant plus grande que la trash-folkeuse, comme elle se qualifie elle-même, transite souvent par Rivière-du-Loup pour rejoindre son Nouveau-Brunswick natal. « Coudon, y é-tu close le dépanneur sur la 185 just before qu’on arrive au New B.? C’est là que j’buyais ma bière en route pour mon homeland. » Non, qu’on lui répond de la salle. Faut juste prendre la sortie no 1 depuis que l’autoroute est ouverte. Pour moi qui suis plongé depuis quelques jours dans la lecture des premiers textes de Jack Kerouac, rédigés dans sa langue natale, le français, je jubile en entendant ce chiac si chantant. Il y a un charme certain, bien qu’inquiétant, dans cette dérive opérée sur le français lorsqu’il subit les assauts constants de la langue anglaise. Écoutez.
Leblanc : « Senteur de clopes, tapis orange déteindu, tache louche su’les draps, taches encore plus louches su’l plancher, shower head qui hang, pus de pression dans la douche… Le ceiling leak depuis une couple d’années… Vive les vacances pis les motels cheap su’l’bord du highway » (Motel). Kerouac : « Ce soir la c’était triste dans ma chambre. En dehors d’mon chaussi y’ava un brickwall pis un tite-arbre comme un baton. J’ava pris une walke pis y’ava rien, seulement des grandes rues avec des mailbox et des trashcans. » (La vie est d’hommage). Leblanc : « J’ai l’air d’une grosse robineuse assie toute seule au bar en bitchant toute la soirée à ceux qu’y’ont le malheur de m’écouter. » (Aujourd’hui, ma vie c’est d’la marde). Kerouac : « Et Ti Jean s’assiza dans la tristesse brune de son coin et regarda la vie. » (Ibid.).
Pendant que le banjo de Lisa s’éclate comme c’est pas possible, je pense à ces destins croisés, chacun issu d’une francophonie menacée, mais tous les deux attirés par « le grand mystère d’l’amerique », comme le dit Jack. On le sait, Jack Kerouac a été le chantre de cet immense voisin qui est le nôtre et, pour ce faire, dans son désir de reconnaissance, c’est en anglais qu’il a choisi d’écrire. Les deux derniers disques de Lisa Leblanc ne comptent que quelques chansons en français. Espérons qu’elle renouera un jour avec cette langue de Molière qu’elle châtie si admirablement.
Lisa Leblanc, vue et entendue à la Maison de la culture de Rivière-du-Loup le 26 janvier dernier. Jack Kerouac, La vie est d’hommage paru chez Boréal en 2016.