Politique

Point de vue post-réforme depuis une région

Par Marie-José Fortin le 2017/01
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Politique

Point de vue post-réforme depuis une région

Par Marie-José Fortin le 2017/01

Alors que 2017 vient de se pointer, il est important de revenir sur l’année 2015 écrite à l’encre rouge dans l’histoire du développement régional. Le projet de loi 28 a généré une période particulièrement mouvementée, sous le signe de la désorganisation pour des centaines d’acteurs du développement territorial 1. La perte de postes, la fin de programmes et la fermeture d’organisations ont marqué la perte de références et d’interlocuteurs-clés sur nombre de dossiers. L’instabilité caractérise le travail des agents de développement qui voient leurs projets suspendus et devenir orphelins.

Ce passage forcé est particulièrement difficile pour ceux qui œuvrent en concertation à l’échelle régionale alors que leur travail doit désormais répondre aux exigences des élus des MRC. Ce changement d’échelle, et d’interlocuteurs, ne se fait pas sans heurts. En fait, chaque organisme doit démultiplier des démarches par le nombre de MRC présentes sur le territoire régional, alors qu’avant ce travail était mené au sein des CRÉ.

Malgré la volonté du gouvernement libéral de nier le palier régional, celui-ci est toujours considéré comme une échelle d’action pertinente par de nombreux acteurs et pour certains enjeux. Au Bas-Saint-Laurent, les élus amorcent un travail pour dessiner un autre modèle, sous le leadership fort du tandem Lagacé-Beaudry. Un tel travail ne va pas de soi, comme on l’observe dans certaines régions, où les élus se sont plutôt empressés de mettre la clé sur la porte de leur CRÉ pour mieux se répartir les fonds restants. En ce sens, la nouvelle organisation mise en place au Bas-Saint-Laurent est une première. Mais que change-t-elle par rapport au modèle précédent?

L’architecture de gouvernance est structurée à deux niveaux. Au niveau supérieur, le forum régional rassemble les préfets des MRC et des élus, huit représentants de la société civile et un de la communauté autochtone des Malécites de Viger. Ensemble, ils posent les diagnostics et définissent les grands enjeux. On peut prévoir que les débats seront modestes à ce niveau puisque les enjeux sont généralement connus et récurrents. Le vrai débat se fera plutôt lorsqu’il faudra passer à l’action et prendre des décisions de deuxième niveau, où siègent essentiellement les préfets des MRC. Chacun doit alors décider si sa MRC appuie ou non une action et y investit des ressources.

Ce nouvel environnement organisationnel et ces investissements « à la carte » façonnent plusieurs enjeux en matière de développement territorial. Notons-en quatre principaux.

Repli sur le local

La « municipalisation » du développement peut constituer une forme de repli, surtout en l’absence d’une base organisationnelle forte susceptible d’alimenter les élus. Ceux-ci, d’abord redevables à leur électorat municipal, doivent maintenant défendre la pertinence d’investir dans une municipalité voisine, voire dans une autre MRC, ce qui risque de conduire à la désolidarisation des territoires.

Précarisation des emplois

Les conditions des emplois associés au développement territorial étaient déjà difficiles (longues heures de travail, postes non permanents). Dans le cas du nouvel organisme, à part une secrétaire et un directeur général, tous les autres professionnels sont embauchés « sur mesure », pour soutenir des projets spécifiques. Les ex-employés deviennent des « consultants » privés, appelés au besoin. Sans lien d’emploi stable, ils doivent assumer tous les risques inhérents à cette situation.

Perte d’expertise

Dans de telles conditions, qui choisira dorénavant le métier d’agent de développement? Ceux déjà en place, possédant plus d’expériences et de réseaux, réussiront possiblement à faire leur chemin, mais qu’en sera-t-il des jeunes diplômés? Des effets négatifs sont déjà observés, dont des départs anticipés à la retraite, des choix de quitter la région, souvent en famille, de changer de métier.

Privatisation de la connaissance

En recourant aux professionnels sur la base de contrats, l’expertise des travailleurs autonomes est mise en concurrence. Ne vaut-il pas mieux garder pour soi ses ressources afin de se démarquer lors d’appels d’offres? Alors que les échanges étaient possibles et même souhaitables au sein des organismes, une telle mise en concurrence apparaît contraire à l’esprit requis pour les collaborations à long terme, les apprentissages collectifs et l’idée de « région apprenante ».

État commanditaire!

Évidemment, difficile de jeter la pierre aux élus de nos petites municipalités qui croulent, on le sait, sous les responsabilités et peinent à dégager des marges financières pour les assumer. Plutôt, il faut voir comment les choix pour reconfigurer le paysage institutionnel de l’accompagnement public en matière de développement local et régional s’inscrivent au cœur d’une lutte entre deux mouvements opposés. D’un côté, la culture du développement territorial semble bien ancrée dans les pratiques des acteurs qui, eux, misent sur un travail de concertation bien maîtrisé, même s’il comporte de nombreux défis. De l’autre, une tendance déjà présente dans l’approche gouvernementale en matière de développement va à l’encontre de cette culture : après l’État « accompagnateur », prend place l’État « commanditaire ».

Selon cette approche, on accorde du soutien et des ressources à ceux qui ont les capacités de se mobiliser, de s’organiser et de faire valoir des initiatives. Bref, ceux qui sont déjà en mouvement. Plus encore, en mesurant les potentiels et les retombées de leurs projets respectifs, on les met en concurrence. On voit vite les limites tendancieuses d’une telle approche. D’une certaine façon, l’État veut « investir » avec un risque minimal dans des initiatives qu’il estime garanties. Or, tout projet comporte une part de risque. Et même, l’échec peut être vu comme utile si on en tire des apprentissages. Les entrepreneurs en témoignent à répétition. De même, tout projet demande en amont un temps de réflexion, de discussion parfois sur fond de conflit. Et plus l’enjeu est important, plus ce temps est long et exigeant. Cette phase préalable essentielle est donc niée par ces nouveaux modes de financement, comme si les projets tombaient du ciel!

Évidemment ce phénomène n’est pas nouveau. La tendance est même bien implantée, mais elle semble trouver ici un contexte favorable pour prendre racine et s’accélérer.

Le pouvoir des régions… au bénéfice de tout le Québec

Certes, les CRÉ étaient loin d’être parfaites. De plus, la concertation est difficile, demande du temps, des compromis. Mais certains fruits étaient visibles. Des millions de dollars conclus dans des ententes spécifiques liant des acteurs sectoriels autour de chantiers divers : jeunes, culture. À partir de Québec, on peut concevoir qu’un pouvoir régional puisse être dérangeant. Mais soutenir une telle lecture serait faire preuve d’une vision à court terme. En effet, selon une tout autre lecture, on pourrait reconnaître davantage le travail de médiation et de traduction fait par les acteurs territoriaux. Un tel travail, exigeant, permet d’adapter les politiques publiques aux réalités régionales et de dénouer tensions et conflits dans l’esprit de l’acceptabilité sociale.

Mais un tel processus, complexe, demande du temps et des ressources. Le gouvernement actuel prétend que nous n’en avons plus. Mais à l’heure où les citoyens exigent des changements dans les façons de penser et de faire le développement, souvent par la lutte contre des mégaprojets, peut-on se passer des organisations de concertation et de développement?

Ce texte est une version modifiée d’un article paru dans Vie économique (septembre 2016).

1. Plusieurs chercheurs du CRDT ont décrit ces changements dans le numéro de la revue Organisations et Territoires (Vol. 4, no 3, décembre 2015), un mémoire soumis à la Commission des Finances (http://crdt.ca/wp-content/uploads/2016/01/projetLoi28-FinancesPubliques16-02-2015.pdf) et dans un numéro en ligne de Vie économique.

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