
Nous vivons une époque de merde, soit. Quelle surprise, en 2016, que ces forces du fascisme, de la haine ordinaire et du conservatisme!
La notion d’identité a été la marotte de nombreux partis politiques en 2016 afin de célébrer en victoire l’écroulement de leur système et de profiter de la chute pour s’élever. Ainsi, du Parti québécois, qui signe le pacte identitaire et dit adieu à son si fragile équilibre, au Front national français qui score mieux que jamais, la démocratie du libre marché joue ses dernières cartes de façon ignoble, scellant le sort de nos prétendues démocraties pour le règne de l’injustice institutionnalisée et, pire, de la haine électoraliste. Pourtant, Jacques Rancière nous avait bien prévenus que nos élites cultivaient la haine de la démocratie qu’elles devaient représenter, le mépris de la pensée diverse et publique. Il nous avait dit aussi qu’il ne saurait y avoir d’identité sans culture, et que la culture, c’est l’ouverture au multiple, que la culture ce n’est jamais le repli vers soi et la folklorisation. Mais nous ne l’avons pas bien écouté, obnubilés que nous étions par cette vision marchande qui nous enserre qui veut que la culture soit une chose vendable, un produit, que l’on achète par identification, parce qu’on connaît déjà, par paresse intellectuelle en quelque sorte.
Les indignés
On ne va pas passer notre vie à chialer.
L’élection de Donald Trump a été, pour plusieurs, le symbole le plus échevelé de cette déchéance démocratique. Depuis ce jour, ces indignés ont, pour la plupart, rejoint les rangs de ces pourfendeurs de la démocratie et joignent les voix des élites pour insulter la majorité (sic) idiote et inonder les réseaux sociaux de textes qui oscillent entre l’apocalypse sociale et le récit de l’antéchrist.
Mais entre nos libéraux « poutinesques », le Brexit, Trump et Marine Le Pen, pas de distinction à faire : un seul et même constat d’échec… celui de cette démocratie des élites financières qui méprisent la démocratie en disant l’appliquer, lui faisant perdre son latin. Cette démocratie fantasque et consumériste que le mordant Desproges avait, bien avant moi, décrite comme « la victoire de Belmondo sur Fellini ». Elle était vouée à la perte dès le début.
Alors que l’Occident se targuait d’avoir atteint une modernité éthique, d’avoir surmonté les grands conflits de sociétés, voilà que nous assistons au retour des fascismes, le racisme primaire refait surface, le sexisme.
Tous les jours, les médias nous relaient le portrait pitoyable d’une société ravagée par la guerre, par l’injustice, par la corruption et l’horreur dont nos politiciens nous font les complices par délit de représentativité.
Représenter qui et quoi?
Statistiquement, on peut dire que les gouvernements qui nous dirigent en Occident sont forts. Ils sont forts en statistiques. Ils ont compris la possibilité de se faire élire avec un appui qui oscille entre 18 et 30 % des électeurs. Cela signifie qu’il reste une proportion de 70 à 82 % de la population qui est potentiellement parlable, honnête, intéressée. C’est énorme!
Et si c’était avec ces gens-là qu’il fallait se tenir, se représenter, et tenter de changer les choses. Et si le temps était venu de ne plus donner aucune légitimité à nos élites, de les ignorer et de construire au lieu de passer notre temps et nos forces à lutter contre elles, qui tiennent en main les rênes d’un système truqué? Il est temps de cesser d’être complice de nos élites criminelles, de dire non à l’électoralisme, et de travailler ensemble pour le bien de tous, en nous impliquant dans nos communautés et en prônant l’ouverture et le respect, de façon non monnayable.
Plus de culture au Québec?
Les discours populistes et haineux de nos politiciens ont des répercussions graves pour notre culture. Comment défendre une culture de la curiosité, de l’innovation, de l’accessibilité dans une société qui vend tout le contraire? Dans ce discours ambiant, pas étonnant que nous vivions dans un immobilisme culturel jamais vu, dans un vide abyssal de l’idée au profit d’une admiration niaise de l’impressionnant, du succès, du beau et de la pitié. Voilà qu’un fossé s’est creusé entre, d’une part, la culture, lieu d’idées, de révolutions, de confrontations symboliques, d’étonnement, et, d’autre part, le produit culturel, lisse, fade, facilement assimilable, pensé par les censeurs du marketing afin de plaire au plus grand nombre, ne pas déranger.
En adoptant le discours de l’argent, nos marchands de cultures véhiculent les idées simples, le manque de réflexion, la facilité et, indirectement, préparent la table pour les discours intolérants.
Mais c’est nous-mêmes, les publics, qui pouvons changer cela. C’est à nous d’exiger plus : de la substance, de la pensée, de quoi se construire pour de vrai et ainsi faire le saut vers LE politique, vers un vivre-ensemble, dans l’action et non dans la représentation.