Champ libre

La badine magie de l’ami Liniers

Par Philippe Marcotte le 2017/01
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La badine magie de l’ami Liniers

Par Philippe Marcotte le 2017/01

«Une cuillère qui tourne dans du jello. » « Un écureuil qui s’enfonce dans un flan. » « Un escargot qui danse sur un micro. » C’est du pareil au même pour la petite Enriqueta et son chat Fellini, qui s’amusent à deviner, les yeux fermés, à quoi ressemble le son dégoûtant des baisers dans les téléromans. Enriqueta est l’un des nombreux personnages de l’univers tout à fait unique de Macanudo, une série signée Liniers, une des plus belles prises des éditions La Pastèque, qui viennent d’en publier le sixième tome.

Depuis une quinzaine d’années maintenant, Macanudo est d’abord publié chaque jour sous forme de strip dans le journal argentin La Nacion. On y retrouve, entre autres curiosités, Z-25 le robot sensible, des lutins aux chapeaux qui prennent dans le vent, des pingouins philosophes face à l’infinitude de la banquise, Olga le monstre imaginaire à l’imagination limitée, Oliviero l’infortunée olive cocktail, la vache cinéphile qui nous entretient des clichés d’Hollywood (où « les méchants sont laids, sauf dans les films pour ados, où ce sont de jolies filles »). Ces personnages évoluent dans des situations et des lieux tout aussi biscornus. On découvre ainsi dans Macanudo la « mystérieuse forêt d’un seul arbre ». Et on y apprend pourquoi il ne faut jamais confier le désamorçage d’une bombe à un policier qui a suivi une formation aux beaux-arts.

Tous les qualificatifs ont été utilisés pour décrire l’œuvre de Liniers : poétique, absurde, imaginative, intelligente, philosophique, drôle, charmante, surréaliste. Macanudo, c’est tout ça en effet, une touche de fantaisie en plus. Des petits riens tout en finesse, sans prétention, mais merveilleusement malicieux et ingénieux. Un univers moitié enchanté, moitié badin. Sensible mais jamais mièvre. En outre supporté par un dessin et des couleurs superbes.

Quand même, du fait du caractère souvent expérimental, peut-être aussi du fait de la contrainte de la publication journalière, l’ensemble n’est pas toujours égal, et certains gags tombent à plat. La traduction a sans doute aussi ses limites. Mais on ne s’arrête pas à ça. En fait, le caractère saccadé, baroque de l’œuvre fait partie de l’expérience de lecture : on ne glisse pas sur les bandes comme on le fait avec tant d’autres albums sans relief.

À travers son œuvre, l’auteur apparaît tellement sympathique qu’on a envie de s’en faire un ami : un amoureux des chats, de la pluie et des enfants ne peut être que d’agréable compagnie. En bon ami, Liniers n’hésite d’ailleurs pas à interpeller le lecteur, rappelant par exemple que si, petit, on t’obligeait à « gober tout ce qu’on te donne » à table, c’est pas une raison, une fois adulte, de faire pareil quand tu regardes la télé! Il peut être dur même, par exemple à travers le chat Fellini, ce salaud pour qui la « vie est un éternel samedi ». « Et toi? » nous lance l’auteur en pleine face. Il est aussi narquois, l’ami Liniers. 

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