
Les 7-8-9 novembre dernier, une coalition représentant quelque 4 000 organismes d’action communautaire autonome (ACA) lançait la campagne Engagez-vous pour le communautaire. Plus d’un millier d’organismes ont participé à des activités de mobilisation dans la province alors que plusieurs députés étaient sensibilisés aux demandes du mouvement. Le lendemain, l’Assemblée nationale adoptait à l’unanimité une motion en faveur du rehaussement du financement à l’ACA. Mais le gouvernement s’est engagé il y a déjà quinze ans à soutenir l’action communautaire… et les organismes attendent toujours des mesures concrètes pour remédier à leur sous-financement chronique.
En 2001, le gouvernement Landry adoptait à l’unanimité une Politique de reconnaissance et de soutien à l’action communautaire (PRSAC) pour pallier l’instabilité financière de nombreux organismes, en particulier en défense collective des droits. Si aujourd’hui cette instabilité demeure, c’est que plusieurs mécanismes prévus par la Politique n’ont pas été mis en œuvre, sa nature non prescriptive n’entraînant pas d’obligation pour les ministères. Or, l’adhésion des ministères à la PRSAC, en tant que gestionnaires des programmes de financement, est primordiale à sa concrétisation. En 2007, un premier rapport d’évaluation montrait une appropriation inégale de la Politique au sein de l’appareil étatique et un manque de pouvoir d’influence des instances responsables de sa mise en œuvre1. On y souligne également une tendance à « diluer la spécificité et la place privilégiée [que la Politique] avait accordées à l’ACA, au lieu de les renforcer ». Adopté en 2004 par le gouvernement Charest, le plan d’action encadrant la mise en œuvre de la politique brouille le lien entre les caractéristiques inhérentes à l’ACA et le soutien financier en appui à la mission globale des organismes, lien central de la PRSAC.
Car, si tout organisme communautaire est sans but lucratif, encourage la participation de ses membres et s’autodétermine, l’ACA se distingue par le fait qu’elle est issue d’initiatives de la communauté, par son approche globale des problématiques, par sa vocation de transformation sociale et son indépendance totale du réseau public. Pour cristalliser cette distinction, la PRSAC préconisait des ententes pour les services complémentaires au réseau public ayant « surtout pour but de soutenir la réalisation de mandats reçus du gouvernement en réponse à des besoins déterminés par celui-ci 2 », alors qu’un financement en soutien à la mission globale était à prôner pour l’ACA. Cette division du financement en deux enveloppes distinctes (trois en comptant la portion mineure du financement accordé aux projets ponctuels) devait permettre la consolidation des organismes dont les activités peuvent déroger aux orientations ministérielles. De plus, on encourageait les ministères à octroyer une plus grande partie de leur financement en soutien à la mission globale et donc dans le respect de l’autonomie des organismes.
Toutefois, quinze ans plus tard, bien qu’il constitue un peu plus de la moitié du financement versé au milieu communautaire à l’échelle provinciale, 85 % du financement à la mission des organismes est attribuable au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), alors que onze ministères n’offrent aucun financement de ce type3. De plus, on observe des aberrations, notamment associer un organisme à l’ACA en fonction de son financement plutôt qu’en fonction des critères établis par la PRSAC 4. Ces critères ne sont d’ailleurs toujours pas reconnus par plusieurs ministères, dont le MSSS, ouvrant ainsi la porte au financement d’organismes qui répondent aux lacunes du réseau public, lui-même étouffé par la rigueur budgétaire. Pourtant, selon Julie Proulx, agente de liaison à la TROC 5, « les organismes d’ACA ne sont pas là pour répondre à ce que le public ne fait pas » sous prétexte que la facture est moins élevée.
La campagne Engagez-vous pour le communautaire demande donc des mesures concrètes qui dépassent les engagements moraux à l’égard du milieu communautaire et doivent s’accompagner d’un réinvestissement dans les services publics afin « d’améliorer les conditions de vie de la population et d’assurer le respect des droits 6 ». Une campagne ambitieuse, qui prévoit déjà des actions dérangeantes le 7 février prochain sous le thème « Leitao : nos vies, c’est pas un jeu! ».
1. Deena White et coll., La gouvernance intersectorielle à l’épreuve. Évaluation de la mise en œuvre de la Politique de reconnaissance et de soutien à l’action communautaire, Université de Montréal, 2008.
2. Gouvernement du Québec, Politique gouvernementale. L’action communautaire : une contribution essentielle à l’exercice de la citoyenneté et au développement social du Québec, ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale. 2001, p. 32.
3. Réseau québécois de l’action communautaire autonome, Évolution des modes de soutien financier du gouvernement québécois à l’égard de l’action communautaire, 2001-2002 à 2013-2014, 2016.
4. Deena White et coll., 2008, op.cit.
5. Table régionale d’organismes communautaires du Bas-Saint-Laurent, représentant près de 170 organismes d’action communautaire autonome
6. Engagez-vous pour le communautaire : www.engagezvousaca.org.