Champ libre

En équilibre sur un fil

Par Marie-Claude Giroux le 2017/01
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En équilibre sur un fil

Par Marie-Claude Giroux le 2017/01

Soigner est une variation du verbe aimer.

 – Ouanessa Younsi

On entre à l’hôpital pour différentes raisons : on y travaille, on y est visiteur ou on y est patient. Chaque personne se sent à sa façon concernée par le milieu hospitalier. L’employé s’affaire à ses tâches, les objectifs motivant sa présence sont clairs et s’enchaînent. Le visiteur voit défiler le cortège de machines, d’individus en sarrau blanc sans comprendre ni nécessairement chercher à comprendre, il ne fait que passer. Le patient pense à lui-même, espérant que, dans ce lieu, quelqu’un ou quelque chose peut l’aider. L’environnement médical prend alors des teintes douces, froides ou amères, selon notre rôle et nos croyances.

On évoque l’hôpital pour différentes raisons : on peut constater son état, le critiquer, on peut narrer son vécu ou encore chercher à expliquer certains phénomènes. Et cette réaction dépend des rôles que nous tenons au sein du système de santé.

Dans son recueil Soigner, aimer, publié aux éditions Mémoire d’encrier à l’automne 2016, Ouanessa Younsi a choisi l’angle poétique pour nous livrer son expérience médicale dans plusieurs communautés : de la Côte-Nord à l’Abitibi, en passant par Kuujjuaq. Psychiatre, poétesse et étudiante à la maîtrise en philosophie, c’est avec une profonde sensibilité qu’elle amène le lecteur à enfiler les rôles du médecin, du malade et de l’observateur. Au lieu de tracer des frontières entre eux, sa plume dessine l’infinité de gris qui sépare le patient du visiteur, le soignant du soigné. Son écriture chuchote l’amour, martèle la souffrance, berce la folie et la beauté dans un même élan.

D’entrée de jeu, une citation de Winnicott souligne la différence fondamentale entre « guérir » (cure) et « soigner » (care). Le premier cas est spectaculaire, puisque la guérison signifie l’éradication d’une maladie et de sa cause. De façon complémentaire, « soigner » réfère à l’intérêt, à l’attention qu’on porte à un individu : le fait de s’occuper de son bien-être pour l’amélioration de son état de santé. Un médicament, une opération ou l’application stricte des recommandations peuvent éliminer une maladie. Toutefois, soigner demande écoute, compassion, proximité et humilité, ce que seul un humain peut procurer. Peu importe les motifs de sa consultation, le patient souhaite un retour à l’équilibre de son corps et de son esprit.

Ouanessa Younsi, en rappelant que cure et care vont de pair dans la relation d’aide, rapproche la médecine de son humanité. Quiconque a déjà perdu l’équilibre sait dans quel état de vulnérabilité on se trouve dans une salle d’urgence. Le statut social démesurément élevé du médecin provient peut-être en partie de ce moment très intime où on s’abandonne à lui, notre confiance livrée en offrande. Alors que le patient perd instantanément ce sentiment d’égalité si précieux en société, la poétesse redonne au malade sa dignité en montrant une franche empathie. Elle s’imagine parfaitement, si un ensemble de facteurs s’étaient réunis, avoir été celle qui aurait pu consulter. Merci à la chance, merci à la famille, merci aux rencontres. Comme lecteur, on parvient à relativiser la détresse du patient rongé par la folie, et il apparaît que ce pourrait être notre frère, notre enfant… ou nous-même.

Si la santé est un état d’équilibre fragile, chacun peut puiser force et sensibilité dans de nombreuses sources pour en prendre soin : la littérature, la musique, la contemplation de la nature, le rire d’un enfant, le sourire d’une aînée. Souhaitons-nous d’être d’abord soignants pour nous-mêmes avec autant d’amour que cette psychiatre peut en avoir pour ses patients. 

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