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Québec et Hydro-Québec comme larrons en foire

Par Bernard Saulnier le 2016/11
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Québec et Hydro-Québec comme larrons en foire

Par Bernard Saulnier le 2016/11

De quelque côté qu’on se projette, les faits, les perspectives et les défis climatiques à relever contredisent le plan d’action ruineux, contre-productif et à tous égards rétrograde que la stratégie du « fait accompli » d’Hydro-Québec propose encore une fois aux Québécois. L’encre de la Politique énergétique 2030 — L’énergie des Québécois, source de croissance1 sortie en avril n’est pas encore sèche que le Plan stratégique d’Hydro-Québec 2016-2020 — Voir grand avec notre énergie propre2 révèle clairement que la nouvelle politique énergétique du Québec n’a d’autre ambition que d’annoncer le retour en force d’investissements qui nient la nature stratégique des défis actuels du Québec dans le monde. Si le Québec entend éviter de porter le bonnet d’âne des nations égarées dans des mirages du passé, il lui faudra un plan d’action « énergie » moins complaisant pour mobiliser les actifs patrimoniaux et les ressources financières d’Hydro-Québec de manière à lancer audacieusement le premier chantier qui compte désormais : celui de l’affranchissement massif de la dépendance ruineuse et polluante aux carburants fossiles. Mais sur cela aussi, le Québec a apparemment perdu le Nord.

Revenons sept ans en arrière, soit bien avant le dévoilement de la Politique énergétique 2030 en avril dernier, et cinq bonnes années avant que le rapport Lanoue-Mousseau de février 20143 recommande au gouvernement l’arrêt de la phase 2 du complexe La Romaine jugée impossible à rentabiliser. Hydro-Québec (HQ) dès 2009 était activement engagée dans une flopée de projets de livraisons massives, fermes et à long terme d’hydroélectricité québécoise sur le marché de gros en Nouvelle-Angleterre : entre autres Northern Pass Transmission, Central Hudson Power Express, Vermont Green Line, des projets de transit ferme, massif et à long terme d’électricité sur lesquels les archives publiques des régies de la Nouvelle-Angleterre nous renseignent mieux, et de manière beaucoup plus détaillée quant à leurs tenants et aboutissants commerciaux, que ce que les portails Internet d’HQ ou du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles en révèlent.

Depuis mai 2014 seulement, la Régie a ouvert 36 dossiers liés à des demandes d’autorisation d’investissements de TransÉnergie dans divers projets visant des améliorations au réseau de transport d’électricité et la construction de nouvelles lignes de diverses longueurs en divers endroits et dans plusieurs régions. « Inextricablement reliés », concluait en juin 2011 un régisseur au moment d’autoriser 1,8 B $ d’investissements à TransÉnergie. Un exemple encore chaud : le 30 avril 2014, TransÉnergie, dans sa demande d’autorisation d’un investissement de plus de 1 B $ pour la ligne Chamouchouane-Bout-de-l’Île, fournissait à la Régie cette étonnante justification :

« Encore récemment, le Transporteur a de nouveau comparé les deux solutions en regard cette fois des changements survenus dans le réseau depuis les premières analyses. Cet exercice constituait en fait une validation de la robustesse des solutions en regard d’un scénario de développement différent de celui anticipé au départ. Cette validation a permis de confirmer que la solution retenue par le Transporteur demeure le choix optimal pour résoudre les enjeux actuellement identifiés ainsi que pour positionner judicieusement le réseau principal pour sa prochaine étape de développement4»

Une litote à plus de 1 B $ quand même : on ne doit pas s’ennuyer dans les officines du Transporteur. TransÉnergie n’a rien ajouté, ni devant le BAPE qui s’est également penché sur ce projet, ni sur le sens qu’il fallait prêter à « sa prochaine étape de développement ». Au-delà du fait qu’une telle infrastructure de transport ne peut servir qu’au transit massif d’électricité commerciale vers le Sud, c’est silence radio chez Hydro-Québec sur le nom des clients qui auraient fait promesse d’acheter ces livraisons massives.

Les enjeux d’acceptabilité sociale et les risques réglementaires et financiers du Plan stratégique 2016-2020 nécessiteraient le déclenchement d’une enquête publique indépendante, précédée d’une commission parlementaire ad hoc, pour juger 1) de la prudence commerciale de ces scénarios commerciaux vis-à-vis d’options d’investissements énergétiques plus compétitives et structurantes pour l’économie du Québec, 2) de la nature de la « pression tarifaire » qu’une fuite en avant dans les exportations massives impose de facto et à leur insu aux abonnés, et 3) des conséquences de l’enfermement par les « castors bétonneurs » qui retarde indûment la mise en route d’une réelle transition/évolution énergétique du Québec capable de moderniser enfin son économie et son infrastructure énergétique. En fait, une nouvelle ligne au départ du Nord ne peut transporter que de l’hydroélectricité pour des livraisons massives d’électricité, ce qui est déjà la promesse d’un prochain fleuve à harnacher!

Le modèle québécois de fuite en avant dans toujours plus de méga-hydraulique ressemble désormais à s’y méprendre à celui albertain du pétrole des sables bitumineux : un modèle productiviste néo-colonial d’exportations en sérieux décalage avec une infrastructure énergétique continentale qui se transforme radicalement, profondément et inexorablement, grâce à la révolution apportée par le paradigme des ressources énergétiques distribuées de proximité, tant du côté de l’offre que de la demande. Hydro-Québec ne peut en faire abstraction. Mais tant pis pour le gisement d’efficacité énergétique du Québec, tant pis pour l’évolution technologique du côté de l’offre et de la demande, et tant pis pour l’intelligence énergétique de la clientèle : la foi affirmée de Québec et d’Hydro-Québec pour le dogme de la croissance infinie les a évacués du plan. Dixit Éric Martel, PDG d’Hydro-Québec : « ce qui m’empêche de dormir la nuit, ça serait, pour les 15 prochaines années, de ne pas avoir de croissance de revenus. La marge bénéficiaire serait alors grandement affectée5. » Doublement des revenus, forçage des exportations, acquisition d’actifs de production et transport dans des juridictions politiquement stables, et si tout va bien, l’annonce prochaine d’un nouveau méga-complexe hydroélectrique en prime, voilà l’essentiel du plan d’action commercial qu’Hydro-Québec a présenté le 20 septembre dernier lors de l’audition du Plan stratégique 2016-2020 devant la CAPERN – Commission parlementaire sur l’Agriculture, les Pêcheries, l’Énergie et les Ressources naturelles. Fait à noter, Hydro-Québec n’avait soumis aucun plan stratégique quinquennal à son actionnaire depuis 2009.

Voyons la réalité du contexte énergétique dans lequel la stratégie d’Hydro-Québec prétend se déployer : 

A- La croissance galopante de la demande d’électricité des trente glorieuses appartient désormais à l’histoire : « Depuis 2007, la consommation d’électricité au Québec plafonne autour de 170 TWh  », a bien répété le PDG d’HQ. De fait, le taux de croissance quinquennal de la demande d’électricité sur le marché intérieur du Québec est systématiquement négatif depuis 2007. Le constat est identique pour tous les marchés voisins du Québec. L’ex-président d’Hydro-Québec-Distribution (HQD), Daniel Richard, expliquait cet été que ce « phénomène nouveau » est causé par « des comportements nouveaux et de nouvelles technologies, comme les DEL et la domotique » et par une « surestimation des besoins de la clientèle ». Il ajoutait aussi qu’avec la baisse de consommation en 2016, « la structure de coûts fixe » d’HQ entraînerait pour 2017 une « pression tarifaire » qui se traduira par « 3,84 $ de plus dans la facture mensuelle d’une maison de taille moyenne ».

B- Des exportations de surplus qui rapportent toujours moins à la marge : De 2003 à 2015 inclusivement, le réseau d’HQ a intégré 33 TWh de nouvelle production d’électricité6, 25 TWh en hydraulique et 8 en éolien. Les surplus deviennent récurrents dans les bilans en énergie du Distributeur dès 2007. En octobre 2015, HQD estimait le volume des « (surplus) » à 8,3 TWh/an en moyenne d’ici la fin de 20237. De 2005 à 2015, les rapports annuels d’HQ témoignent du fait que les exportations d’HQ-Production ont quintuplé5 (passant de 6 à environ 30 TWh/an), cette croissance des volumes s’accompagnant d’une baisse, par un facteur 3, du prix de vente moyen unitaire actualisé de l’énergie livrée sur les marchés de gros. À la féroce compétitivité qui caractérise le marché de gros s’ajoutent les règles de participation toujours plus restrictives qu’impose la Federal Energy Regulatory Commission des États-Unis à tous les acteurs qui y transigent. En commission parlementaire, le PDG d’HQ rêve cependant d’exportations massives à « descendre» au Sud : « on a 30 TWh aujourd’hui, on pourrait probablement aller chercher un autre 15 à 20 facilement, et peut-être même rêver à plus que ça, mais, facilement, on voit, d’ici les années 2030, qu’on pourrait se rendre là. »

Et si on rêvait d’autre chose : 8,3 TWh par an d’électricité renouvelable en surplus, c’est un beau problème. D’autres pays rêveraient d’un pareil atout pour lancer sans délai leur chantier d’affranchissement accéléré de leur dépendance ruineuse aux carburants fossiles vers un transport routier soutenable. La Politique énergétique cible une diminution de 40 % de notre consommation annuelle d’hydrocarbures d’ici 2030. Appliqués au transport routier, les besoins énergétiques finaux de cet objectif représentent quelque 10 TWh d’électricité annuellement, soit un peu moins que le volume d’électricité patrimoniale que le Distributeur a « laissé » sous forme de stocks hydrauliques dans les réservoirs du Producteur en 2015. Ce volume d’électricité patrimoniale inutilisée correspond à la réduction de quelque 3 milliards de dollars d’achats de produits pétroliers par année à terme. Il offre donc clairement aux Québécois la marge de manœuvre qui justifie d’engager sans délai un plan structuré de substitution massive du pétrole par l’électricité d’ici 2030. Ce n’est pas l’imagination financière qui manque au Québec pour entreprendre un tel chantier. Mais pendant que la Caisse de dépôt et placement du Québec et Investissement Québec s’enfoncent dans des opérations pétrolières spéculatives de plus en plus douteuses sur le casino du TSX, et qu’Hydro-Québec s’autocongratule des quelques nouvelles bornes de recharge qu’il installe ici et là et jusqu’au Vermont en planifiant des exportations massives, c’est tout le plan de substitution structurée que requiert l’incontournable chantier d’affranchissement massif au pétrole qui piétine. Le projet de loi 106, ce premier morceau législatif issu de la Politique énergétique 2030, fait craindre le pire à cet égard lorsqu’il combine l’annonce de la création de Transition énergétique Québec Inc. (patente labyrinthique à 266,6 M$/an) avec une Loi sur les hydrocarbures inspirée de l’Ouest américain de 1849.

C- L’électricité patrimoniale, la physique des réservoirs, les astuces comptables et les trucages tarifaires : Des 165 TWh d’électricité patrimoniale réservés chaque année au Distributeur, 10,4 TWh sont restés dans les réservoirs du Producteur en 2015. Or, en 2015, 30 % des bénéfices du Producteur sur le marché intérieur du Québec (328 M$) proviennent de 6,2 TWh de livraisons post-patrimoniales au Distributeur, ce qui représente moins de 4 % de toutes ses ventes annuelles (patrimoniale + post-patrimoniale = 154,6 + 6,4 = 160,8 TWh en 2015), avec, pour HQP, une marge bénéficiaire record de 5,77 ¢/kWh, soit le double de celle correspondant à ses ventes à l’exportation en 2015. On peut imaginer que 6,2 TWh d’électricité patrimoniale inutilisée, rebaptisée électricité post-patrimoniale, aura tout simplement été revendue au Distributeur au triple du tarif patrimonial pendant que les 4,2 TWh restants ont été « descendus » à l’exportation. Bénéfice net du Producteur pour des ventes de 10,4 TWh d’électricité patrimoniale inutilisée : 450 M$, avec zéro ristourne aux abonnés captifs du Distributeur. En l’occurrence, les profits des ventes post-patrimoniales du Producteur sur le marché intérieur sont le résultat direct des « règles commerciales » prévues dans le jeu de Mikado à 8 760 bâtonnets de demande horaire (la demande horaire classée de l’année patrimoniale théorique a été spécifiée dans le Décret 1277-2001 du 24 octobre 2001) que se jouent le Distributeur et le Producteur par le biais d’une « entente globale cadre » reconduite depuis 2005 par la Régie de l’énergie qui autorise jusqu’en 2020 un prix de 30 ¢/kWh pour l’électricité post-patrimoniale qu’achète le Distributeur au Producteur pendant la saison froide et notamment durant les heures de pointe. De quoi se demander pourquoi le Distributeur n’a pas encore proposé à sa clientèle un programme incitatif d’effacement volontaire en pointe hivernale au quart de ce prix, et pourquoi il met autant d’efforts à vouloir recycler et prolonger de 10 ans le désastreux imbroglio d’un contrat d’achat d’électricité de base à Bécancour (centrale au gaz naturel de TCE) qui deviendrait un contrat d’achat d’électricité de « fine » pointe au gaz naturel liquéfié (GNL).

Sous le boisseau, et de diverses manières, le gouvernement s’est activé à hausser les bénéfices d’Hydro-Québec. Notamment ceux du Producteur depuis le 1er avril 2014, en haussant de 0,1 ¢/kWh le tarif de l’électricité patrimoniale par des décrets annuels à cet effet8, et qui répartissent cette hausse de manière à doubler l’impact de l’inflation pour les abonnés résidentiels qui subventionnent l’allègement tarifaire que le lobby des grands consommateurs industriels obtient bon an mal an derrière des portes closes. Appliqué à la vente de 160 TWh d’électricité patrimoniale, 0,1 ¢/kWh, ce sont 160 millions de bénéfices annuels de plus qui sont garantis au Producteur en 2016 (et donc 120 M$ à l’actionnaire unique) par rapport à 2013 sans qu’on connaisse les passifs d’investissements du Producteur qui pourraient y correspondre et en surplus des marges bénéficiaires considérables déjà inclues dans le tarif patrimonial lui-même.

Bref, tout cela, pour « nous permettre de nous enrichir comme peuple» et contribuer fièrement au financement des programmes sociaux susurrait au ministre en titre le PDG d’Hydro-Québec auditionné par la Commission parlementaire le 20 septembre dernier, comme si des tarifs d’électricité farcis de taxes qui n’osent pas dire leur nom, d’ astuces comptables jouant sur l’appellation des stocks d’eau d’un même réservoir et des ententes à sens unique constituaient des pratiques commerciales normales pour la clientèle captive d’un monopole de distribution d’électricité.

On cherchera vainement, dans la Politique énergétique 2030 — L’énergie des Québécois, source de croissance ou dans le Plan stratégique d’Hydro-Québec 2016-2020 — Voir grand avec notre énergie propre, le cadre de décision crédible et audacieux qui créerait au Québec les conditions d’émergence d’un marché efficient et transparent d’investissements énergétiques modernes. La Politique énergétique 2030 et le Plan stratégique 2016-2020 renvoient à l’image d’un conducteur ivre qui tenterait une manœuvre de dépassement, la pédale dans le tapis et l’œil dans le rétroviseur. Exploration fossile ou méga-complexe hydroélectrique en gestation, tout y parle d’un pays qui a perdu le Nord. Quand Henry Ford a lancé son Model T, les projections des fabricants de calèches prévoyaient une forte demande de leurs produits phares à travers les États-Unis et le reste du monde; leurs actionnaires en étaient convaincus jusqu’à ce que le tsunami pétrolier les fasse disparaître… Alors que l’industrie fossile commence son inexorable déclin, l’émergence de nouvelles technologies énergétiques commerciales compétitives tant du côté de l’offre que de la demande sonne aussi la fin du paradigme de la production centralisée et de son transport à sens unique vers des marchés de plus en plus lointains.

Le Québec doit revoir sa politique énergétique en tenant compte des tenants et aboutissants de la révolution énergétique en marche partout dans le monde.

1. Gouvernement du Québec, Politique énergétique 2030 — L’énergie des Québécois : source de croissance, 2016, politiqueenergetique.gouv.qc.ca.

2. Hydro-Québec, Plan stratégique 2016-2020 — Voir grand avec notre énergie propre, 2016, www.hydroquebec.com/publications/fr/documents-entreprise/plan-strategique.html.

3. Commission sur les enjeux énergétiques du Québec, Maîtriser notre avenir énergétique, 2014, www.ledevoir.com/documents/pdf/commissionenjeuxenergetiques2014.pdf.

4. Hydro-Québec TransÉnergie, Demande relative au Projet à 735 kV de la Chamouchouane-Bout-de-l’Île (R-3887-2014), 30 avril 2014, publicsde.regie-energie.qc.ca/projets/261/DocPrj/R-3887-2014-B-0006-Demande-Piece-2014_04_30.pdf

5. Julien Arsenault, « Des changements au sein de la direction chez Hydro-Québec », La Presse.ca, 12 septembre 2016, www.lapresse.ca.

6. Bernard Saulnier, Dérives tarifaires, Mémoire déposé à la Commission sur les Enjeux énergétiques du Québec, 1er octobre 2013, 64 p., www.mern.gouv.qc.ca/energie/politique/memoires.

7. Hydro-Québec Distribution, État d’avancement 2015 du Plan d’approvisionnement 2014-2023, 30 octobre 2015, www.regie-energie.qc.ca.

8. Régie de l’énergie, « Règlements et décrets-Électricité patrimoniale », 2015, http://www.regie-energie.qc.ca/regie/reglements_electricitepatrimoniale.html.

Cet article poursuit la réflexion de l’auteur, publiée dans le Mouton Noir, Vol XX, No 06, juillet-août 2015, page 7 : «  La Régie de l’énergie devient une coquille vide ».

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