
À la rentrée 2016, Solange Drouin, directrice de l’ADISQ, montait dans les rideaux et les médias, et nous prévenait d’un désastre annoncé : si le gouvernement n’aide pas l’ADISQ, c’est la fin de la musique québécoise. D’un même geste, elle cognait à la porte de votre bureau (possède-t-elle un permis de lobbyiste?) afin de vous quémander la gentille somme de 15 millions de dollars.
La dernière fois que j’avais entendu ce genre de cri d’alerte, c’était l’ADISQ qui demandait de l’aide en 2007 pour s’adapter à la transformation numérique. Mais, au lieu de tenter d’innover pour s’adapter aux nouvelles habitudes d’écoute, l’ADISQ a combattu farouchement ces nouveaux modèles et arrive aujourd’hui devant un fait accompli, Spotify, l’ennemi juré, le « Chamallow des ghostbusters ».
Pourtant, vue de l’intérieur, je dirais qu’elle se porte à merveille, la création musicale québécoise et que oui elle a besoin de sous, mais pour ses créateurs, pas pour du marketing et de la standardisation.
Elle se porte très bien, la création, mais on ne l’entend pas, ou peu, noyée sous les drapeaux flamboyants du marketing et des relations de presse de votre association, relayés dans les médias.
Pendant qu’on fait stagner le budget du Conseil des arts, je ne vois pas ce qui peut justifier que l’on passe une petite enveloppe discrétionnaire et remplie de millions à l’industrie.
L’ADISQ ne représente pas les artistes, elle représente l’industrie. Donner de l’argent à l’ADISQ ne rapportera pas aux artistes! Et ils vont quand même devoir payer leur cotisation et demander à leur agent de leur acheter un trophée. Je me demande combien ça fait par personne si on divise 15 millions entre tous les musiciens du Québec.
Dans les jours suivant le cri de Solange, je fus heureux de constater que presque tous les quotidiens (Le Devoir, La Presse, Le Journal de Montréal) publiaient des articles remettant en question le rôle et le positionnement stratégique de l’ADISQ. Les premiers à avoir jeté la pierre sont sans nul doute ceux qui voient les musiques qu’ils défendent réduites à une caricature dans le Gala : les prix pour la musique alternative, le jazz, les musiques instrumentales ou les musiques de films sont étrangement toujours remis à des chanteurs connus. Quand un acteur-crooner gagne le prix du meilleur album de jazz pour un disque de Noël, on comprend que la vivace scène de jazz montréalaise se racle la gorge.
L’avènement des sites de streaming (écoute en continu) n’est certes pas très bon pour le commerce de Solange (comme dans la fable, « la fourmi ayant peddlé tout l’été… »), mais il faut saisir que le déraisonnable de sa demande réside dans le fait qu’elle prend la défense d’idées dépassées et demande un soutien non pas pour les artistes, mais pour ses membres, ceux qui adhèrent, plus ou moins tacitement, aux dites idées.
On pourrait toujours, comme le propose Solange, « s’inspirer du modèle chinois de censure de l’Internet », mais, personnellement, ça ne m’inspire rien de bon.
La réalité est qu’il n’y a pas que les méchants streamers qui s’adaptent aux nouvelles mœurs. De plus en plus d’artistes vendent ou donnent eux-mêmes leur musique, adhèrent à une philosophie du Creative Commons et ne veulent pas être associés à l’industrie. Ceux-là retournent à la musique live et publient des objets recherchés en éditions limitées. Ce sont eux qui inventent la musique de demain.
L’ADISQ est le produit d’une époque de l’intermédiaire-roi. On assiste aujourd’hui à un retour du direct, de l’autogestion, dans la production culturelle comme dans les autres sphères. Si j’achète mes tomates directement d’un producteur local, pourquoi ne pourrais-je pas faire de même pour ma musique?
Souvent je me dis que l’industrie est largement responsable de l’état de la situation. La création est imprévisible. Les gens consomment la culture autrement, ils sont à la recherche d’étonnement.
Et si, à coup d’études de marché, de public cible, de stratégies, l’industrie du disque avait rendu la culture plate, fade, tiède, par excès de populisme marchand? Et si le monde était tanné de revoir toujours ces mêmes faces dans tous les festivals et à la télévision? Ça vient qu’on les supporte par pitié. Et vous me dites maintenant qu’ils ne gagnent même pas leur vie?
Je suis moi-même musicien. Vous n’avez sans doute jamais entendu parler de moi. C’est normal. Je fais de la musique, et pas du marketing. Et je vais à la rencontre des gens. Je fais des tournées au Canada et dans le monde, je fais des musiques pour le cinéma, pour des spectacles, je joue dans des ensembles. Et je ne crois pas à cette image de l’artiste monolithique qui sort des albums, tous du même genre, aux trois ans et, le reste du temps, vend sa belle gueule.
Je ne suis pas sur Spotify, aussi je ne m’en plains pas. Ceux qui y sont y sont par choix.
Je sortirai bientôt mon 25e album. La plupart, je les ai vendus de main à main, lors de concerts, ou en ligne. Et je vis.
Alors, il faudra m’expliquer comment je fais svp.