
Ce qui arrive au Parti québécois ne peut pas nous laisser indifférents : qu’on le veuille ou non, chaque course à la chefferie du PQ prend un peu l’allure d’une élection nationale. Cette énième course à la chefferie du PQ n’a pas fait exception. La capacité du PQ à incarner et à fédérer la défense de l’État social, de l’État sans pétrole et de l’État français, et à nous mener à l’indépendance était de nouveau en question dans cette course à la chefferie.
Le choix du PQ : Lisée
Alexandre Cloutier s’est présenté comme le plus rassembleur pour le parti, Jean-François Lisée comme le plus susceptible de déstabiliser et de déloger les libéraux, Martine Ouellet comme la plus déterminée à tenir un référendum sur l’indépendance sans délai, Paul St-Pierre Plamondon, comme le politicien cool de l’avenir. Des doutes ont été soulevés sur la personnalité de chacun d’eux : l’opportunisme et l’imprévisibilité de Lisée, la complaisance et l’inconsistance de Cloutier, l’idéalisme et la pugnacité de Ouellet, le carriérisme de Plamondon. Et la course a donné lieu à une telle acrimonie entre les candidats et à un tel fanatisme chez les partisans de l’un et l’autre candidat qu’on a peine à imaginer la suite.
Les 73 000 membres du PQ ont choisi le guerrier et le stratège, plutôt que le jeune BCBG (bon chic bon genre), plutôt que la passionaria de l’indépendance ou la nouvelle recrue. Un tour de force étonnant de la part de Lisée, qui n’avait rien pour lui au départ.
Lisée est celui qui leur a semblé le plus fort et le plus aguerri pour faire face aux adversaires — au risque de voir l’indépendance remisée à l’arrière-plan pour un temps — peut-être parce que les souverainistes, et les Québécois en général, en ont assez de se faire humilier et dépouiller par les néo-libéraux et les multiculturalistes à Québec et à Ottawa, et qu’ils veulent quelqu’un capable de les défendre et de leur donner la victoire. Ils ont choisi Lisée pour d’abord battre les libéraux, tel qu’il le propose.
C’est sans doute le choix le plus utile et le plus prometteur dans la conjoncture actuelle du Québec. Lisée est effectivement le mieux préparé, le plus expérimenté, le plus réaliste, le plus fort, le plus redoutable pour faire ce travail, et son programme est de loin le plus structuré et le plus novateur. Mais il est aussi le plus risqué. Il est trop sûr de lui et calculateur pour être vraiment démocrate. Il est, à l’occasion, on l’a vu, opportuniste, impulsif et imprévisible. On l’admire plus qu’on l’aime et on en a un peu peur, bien qu’on ait appris à l’estimer durant cette campagne : il arrive que le pouvoir change quelqu’un pour le mieux, ou du moins, la perception qu’on en a; on a vu ça avec Daniel Johnson père. Et c’est un « beau parleur », ce qui n’est pas déplaisant. On ne risque pas de s’ennuyer avec lui. Son premier discours-fleuve déjà célèbre en est la promesse.
L’avenir du PQ et de l’indépendance
Lisée saura-t-il rassembler le parti, les indépendantistes, le Québec, d’abord pour gagner l’élection de 2018, ensuite et dans cet ordre, pour faire l’indépendance? La convergence sera-t-elle plus facile à réaliser contre Couillard que pour l’indépendance? Quel impact aura le délicat dossier de la laïcité sur l’unité des forces progressistes et indépendantistes? À gauche comme à droite, la corde est raide.
Son discours d’acceptation était rassembleur, mais il faudra plus qu’un discours. Rien n’est réglé sur la question de fond, celle de l’avenir du projet d’indépendance et du parti : qu’adviendra-t-il de ce parti, et de son option, de plus en plus boudé par les jeunes et les souverainistes déçus? Aucun candidat (ni journaliste) n’a vraiment essayé de comprendre pourquoi s’est produite une telle rupture historique et identitaire au Québec ces dernières années et comment y faire face. Le documentaire de Marc Laurendeau, Le Parti québécois, l’affaire d’une génération?, a bien posé le problème du décalage et de la dérive de ce parti, mais peu élaboré sur les solutions.
On ne peut le nier : les thèmes de l’identité et de la volonté du Québec, comme peuple et comme État, sont portés à se dissoudre dans le nouveau paradigme mondial où prédominent le libre-échange, la communication virtuelle individualisée, le multiculturalisme, l’anglomanie, les inégalités sociales, le péril écologique planétaire, la désaffection pour la politique et la dictature des riches. La volonté de nous fondre dans ce nouveau monde semble prendre le dessus sur la volonté d’y prendre notre place avec ce que nous avons de distinctif.
Il est clair que le nationalisme traditionnel du PQ et sa stratégie référendaire partisane ne pourront lui permettre de rattraper les nouveaux Québécois de 2020. Pas davantage d’ailleurs l’indépendantisme volontariste d’Option nationale ni l’indépendantisme socialiste et accessoire de Québec solidaire. Pour sortir de l’ornière de l’indépendantisme et du progressisme actuels, de plus en plus de gens estiment que l’option la plus rassembleuse serait de s’attaquer de front à la perte de confiance des citoyens pour nos institutions démocratiques et de sortir du cadre politique traditionnel pour offrir aux Québécois le moyen de reprendre le contrôle des décisions collectives à tous les niveaux. En d’autres mots, replacer la question de l’indépendance et du progressisme dans l’optique de la souveraineté du peuple et de la démocratie plutôt que du seul nationalisme traditionnel et partisan. Et cela implique bien plus que nous demander de dire oui ou non dans un référendum sur la souveraineté de l’État québécois, ou de proposer une constitution initiale préfabriquée par les avocats du parti, ou de modifier le mode de scrutin. Cela veut dire permettre au peuple de réécrire lui-même l’ensemble des règles du jeu démocratique, économique et social dans un processus constituant, citoyen, participatif et non partisan, ayant pour but la rédaction d’une première constitution démocratique du Québec, c’est-à-dire une Assemblée constituante citoyenne non partisane, et c’est précisément sur le projet de constitution que proposerait cette Assemblée que devrait porter le fameux référendum populaire.
Cela s’appelle une révolution démocratique. Une restauration de la souveraineté du peuple. Cela s’appelle refonder le Québec en tenant compte de ce que nous sommes, de ce que nous voulons devenir et de la place que nous voulons occuper dans le monde