
La microédition, ça veut dire prendre soin.
La microédition littéraire au Québec a toujours existé, bien sûr, pensons seulement aux débuts en fanzines des Herbes rouges ou des Écrits des forges, ou encore à ces reliques d’un temps qui nous semble maintenant bien loin avec les dessins et poèmes écrits à la main de Paul Chamberland. Pensons également aux publications artisanales de Patrick Straram « le Bison ravi », de Josée Yvon ou de Denis Vanier et à des revues comme Steak Haché, Fish Piss ou Ectropion. La production, la variété et la popularité de la microédition ont beaucoup augmenté ces dernières années. En effet, la microédition a la cote. Je n’ai ni l’envie ni l’espace de vous en faire l’historique, je souhaite plutôt qu’on se promène à travers ce que j’en connais. Bien que des formes de microédition existent depuis longtemps, on s’est toujours gardé une petite gêne au Québec francophone, trop longtemps à mon avis. Il faut avouer que la microédition séduit, surtout depuis que la place de la littérature a rétréci comme peau de chagrin, et s’il reste de l’espace pour quelques « vedettes » (comme Dany Laferrière, Samuel Archibald ou Claudia Larochelle), on doit se rendre compte que la place accordée à la littérature a perdu beaucoup de plumes dans des librairies qui se concentre sur des livres à grand succès, des guides de vie ou des journaux qui font peu de place à une littérature vivante, actuelle et nécessaire. De plus, les subventionnaires investissent de moins en moins dans des événements où la littérature va à la rencontre de son public. C’est donc dire qu’organismes à vocation littéraire et écrivains qui fonctionnaient déjà avec des miettes reçoivent de moins en moins d’argent. Eh bien, on va ben finir par se le dire : la littérature perd de son sex-appeal.
La microédition est donc la touche de magie dans l’équation, car elle est rebelle! En effet, le fait qu’elle s’autofinance, qu’elle ait et prenne toutes les libertés et qu’elle se joue dans un registre qui n’en a rien à foutre de la logique marchande et capitaliste a tout pour séduire.
Ce qui en fait son plus grand atout selon moi est qu’elle combat l’isolement. On écrit peut-être seul, mais la microédition possède des réseaux (salons de l’édition indépendante, Expozine, salons de la marginalité, festival anarchiste et autres) qui la sortent de sa solitude et la font exploser à son plein potentiel. Prendre soin, c’est se soucier de son environnement, c’est voir et entendre les autres autour de soi et c’est aussi ce besoin de communauté autour de soi. Ce souci n’est pas exclusif à la microédition bien entendu, mais elle y participe et ça la rend absolument sexy.
Mais où est donc la littérature?
Une des choses encore et toujours incroyables à propos de la littérature, c’est qu’elle est difficile à trouver. Les éditeurs littéraires désertent les salons du livre qui chargent des montants qu’ils ne peuvent plus se permettre et sont rapidement remplacés par l’autopublication. Entre le dernier roman essayistique du Quartanier et la nouvelle traduction canadienne chez Alto, une masse de gens préfère encore l’autobiographie de Ricardo. D’ailleurs, les librairies ne tiennent presque plus de fonds ou d’ouvrages littéraires pour laisser plus de place aux best-sellers qui permettent à la librairie de rester à flot. Voilà pourquoi la microédition développe son propre réseau, hors de ces considérations marchandes. Les librairies indépendantes acceptent parfois de tenir en stock de la microédition, mais ne la cherchez pas chez Renaud-Bray, vous perdriez votre temps, et eux le leur.
D’un point de vue littéraire (donc/et subjectif), il y a une différence fondamentale entre la microédition et l’autopublication : l’autopublication permet à n’importe qui de publier ses écrits, souvent en très (trop) grande quantité et toutes catégories confondues, à partir d’un photocopieur, d’un imprimeur ou chez cette nouvelle branche d’« éditeurs » non reconnus qui demandent de l’argent (parfois d’énormes montants) afin de publier un livre qui ne bénéficiera d’aucune direction littéraire ou orientation graphique ou esthétique, ni d’un travail typographique quelconque. La microédition, elle, ne jure que par l’esthétique et est mue par une volonté de changer les choses, de bousculer l’ordre établi et de remettre au goût du jour la conscience sociale. Bien qu’elle puisse passer d’un feuillet photocopié à un livre à reliure allemande, elle se crée toujours dans une esthétique déterminée et recherchée. La microédition n’a pas nécessairement de direction littéraire, mais elle se nourrit d’un désir de partage, de communauté. La plus grande différence entre l’autopublication et la microédition – omis la quantité – demeure la qualité littéraire de l’objet.
Chez certains éditeurs, la ligne est mince entre l’édition indépendante, la petite presse (small presses) et la microédition. Je pense à des éditeurs comme Rodrigol, Metatron (petite maison d’édition montréalaise et indépendante qui publie en anglais) ou encore à des éditeurs artisanaux comme l’Oie de Cravan, La tournure ou Possibles Éditions. En publiant chez un éditeur, aussi indépendant et ouvert d’esprit soit-il, il y a une maquette, des décisions éditoriales, etc., ce que la microédition évite consciencieusement, mais, à mon humble avis, cette mince ligne devrait être traversée autant de fois que voulu. D’ailleurs, ces communautés se reconnaissent et n’hésitent pas à s’entraider.
DIY : Droit et Indépendant, Yé!
La microédition, c’est aussi tout faire soi-même et dans le plus grand bonheur. Car s’il faut penser à tout et même prévoir ce qui n’a aucune chance d’arriver, ce travail s’accompagne d’une incroyable et grisante liberté de pensée et d’action. Ce DIY (do-it-yourself), comme on le dit à l’anglaise, devient rapidement une manière de fonctionner et de partager ses savoirs. Par des styles d’écriture et des publications qui se situent en dehors des sentiers institutionnels de la littérature et de la chaîne habituelle des librairies, un nouveau monde est créé.
D’un point de vue plus personnel, en prenant comme exemple les productions Arreuh que je dirige, le DIY est une manière de vivre. Depuis 10 ans, c’est le mode de fonctionnement et le mode de pensée que nous avons choisi. J’ai toujours aimé les artistes qui fonctionnaient ainsi (à cet égard le livre The Art of Asking d’Amanda Palmer des Dresden Dolls est un bijou!), et les rencontres qui en découlent sont particulièrement florissantes. Le festival Dans ta tête, organisé chaque année en mars, et l’Académie de la vie littéraire sont deux exemples des productions Arreuh qui touchent à la microédition. Dans le premier événement, une série de micro-revues dirigées chaque année par des directrices et des directeurs différents se matérialisent sous toutes sortes de formes lors de l’Expozine (fanzines, bien sûr, mais aussi enveloppes, tasses, cassettes VHS, etc.). Avec l’Académie de la vie littéraire, on donne des prix à la communauté des laissés-pour-compte, c’est-à-dire à ceux et celles qui n’en ont pas ailleurs. Les productions Arreuh se concentrent sur la qualité littéraire du Québec francophone et anglophone, plus particulièrement encore sur la microédition.
De la nécessité d’abord et des initiatives locales
La microédition est plus présente qu’on le pense, et ce, partout au Québec. Je pense à La Conspiration dépressionniste à Québec ainsi qu’à la micro-maison C’est beau escabeau. On peut aussi penser au travail d’artistes de l’édition artisanale comme Marie Gilbert ou OBV ainsi qu’au collectif Ramen, aux chapbooks de Sophie Jeukens ou d’Étienne Provencher Rousseau à Sherbrooke, aux livres d’artistes/fanzines de l’atelier Presse Papier (en collaboration avec Sébastien Dulude) à Trois-Rivières, à Bouc Productions dans Lanaudière, aux fanzines des Bêtes d’hier, au Il pleut des gouines/It’s raining dykes et, plus poétiquement, aux micro-recueils de Marie Darsigny, Daphné B., Carl Vézina (Belooga Joe) ou encore à Marie-Paule Grimaldi à Montréal, au fanzine Lapin Lièvre ou à de nouvelles initiatives comme la revue Boulette, la revue La Brimbelle (un incontournable au Saguenay qui a fait une place à des artistes telles Stéfanie Requin Tremblay, Laurence Lemieux). À Rimouski, le collectif La Balconnière propose des projets collectifs ou des happenings dont on garde des traces dans des livres-objets et la micro-maison d’édition d’origine sherbrookoise Fond d’tonne vient d’y poser ses pénates : un recueil dans un pot Masson, un collectif sur les dépanneurs roulés dans une bouteille de bière, un autre en forme de carton d’allumettes, tout pour nous séduire et nous étonner.
Parce qu’elle naît de la nécessité de créer et qu’elle est férocement indépendante, la microédition est dangereuse en ce sens qu’elle n’est pas tuable. En fonctionnant par projet individuel ou collectif et en ayant ses quartiers partout au Québec, la microédition contamine magnifiquement le paysage littéraire. De plus, en choisissant de sortir des sentiers usuels de la publication ou des subventions, elle est autonome, engagée et autogérée. Si, du jour au lendemain, tout le système capitaliste des subventions et des bourses aux artistes s’écroulait, la microédition survivrait et elle produirait une publication merveilleuse sur ce qui vient d’arriver! Blood!