Durant la campagne référendaire de 1995, j’ai eu l’occasion de discuter avec un Torontois installé en Beauce, par amour, qui m’avait confié dans un excellent français d’ailleurs avoir presque envie de voter oui, pour que cela finisse enfin. Ensuite, il avait ajouté : « Avant vous aviez de bonnes raisons de vouloir quitter le Canada, maintenant ce n’est plus nécessaire, vous pouvez vous développer comme vous voulez. » J’avais trouvé l’aveu surprenant.
En 1998, le Bloc québécois avait organisé des chantiers de réflexion, dont un sur la mondialisation, à Rivière-du-Loup. En écoutant Jacques Parizeau expliquer les changements à l’économie mondiale survenus depuis les accords du GATT et exposer ce qui se dessinait, avec la clarté et l’éloquence qu’on lui connaissait quand il évoluait sur son terrain, je me suis surprise à penser qu’on avait peut-être fait le référendum quelques années trop tôt. En effet, conçue avant que la mondialisation ne prenne de l’ampleur, la campagne de 1995 avait été menée avec le même argumentaire émotif qu’en 1980 : se défaire d’un passé de colonisé, prendre ses propres décisions. René Lévesque (et Bouchard par la suite) avait tenté de convaincre les Québécois qu’ils étaient « peut-être quelque chose comme un grand peuple ».
Plus l’économie se mondialisait, plus les États perdraient de pouvoir devant les multinationales, plus le Canada se devrait de parler d’une seule voix, et plus le Québec se provincialiserait. Ce qui devait arriver arriva : la présence du Québec à l’international rétrécit comme peau de chagrin, même si ses artistes rayonnent bellement. Si Parizeau avait pu faire campagne sur le thème de la mondialisation et l’importance d’avoir sa place autour de la table des nations, le projet de pays aurait eu le mérite d’être tourné vers l’avenir au lieu de tourner en eau de boudin après une si mince défaite.
Les jeunes de 20 ans n’ont pas connu les référendums et encore moins la commission royale d’enquête Laurendeau-Dunton qui, après avait fait le constat d’inégalités de revenus importantes entre Canadiens-français et Canadians — les frogs se situant en bas de l’échelle, un cran au-dessus des Amérindiens —, recommandait « des mesures à prendre pour que la Confédération canadienne se développe d’après le principe de l’égalité entre les deux peuples fondateurs ». Trudeau père s’était empressé d’escamoter la notion de peuples fondateurs au profit du multiculturalisme pour noyer le poisson québécois.
À 20 ans, on est inspirés par les success-stories à l’international de Xavier Dolan, de Yannick Nézet-Séguin, d’Arcade Fire, etc., et c’est bien. On n’a probablement jamais essuyé de mépris anti-francophone, c’est encore mieux. On ne sent pas sa langue menacée, c’est peut-être téméraire, ou pas. Et lorsqu’on est à gauche, on est écolos ou altermondialistes, ou les deux. Problème d’identité? Être ou ne pas être queer, voilà la question!
Je n’ai jamais eu de carte du PQ, mais j’ai souvent discuté avec de fervents militants. Leur idée était de faire d’abord un pays et de décider ensuite ce qu’il serait. C’était peut-être une bonne idée en 1980, ce ne l’est plus. Un pays pour un pays, c’est du passé. Car il ne s’agit plus d’un peuple à libérer, mais d’un territoire à chérir et à protéger, pour y vivre simplement, sainement, confortablement. Sauver la planète un petit coin à la fois. S’il ne s’agit plus de fierté nationale à retrouver, il s’agit peut-être de se donner les moyens d’incarner la différence culturelle de l’Amérique française avec les valeurs inclusives que sont la liberté, l’égalité et la solidarité.
Il y a 46 ans, les premiers députés indépendantistes étaient élus à l’Assemblée nationale. C’était au siècle dernier, quand on pouvait encore croire à des lendemains qui chantent; c’était l’époque où le ROC demandait What does Quebec want? Il faudrait peut-être songer sérieusement à répondre à la question, mais ce sera plus ardu que ce ne l’était naguère, car les temps ont changé : nous vivons à l’échelle planétaire dans un présent perpétuel pour éviter de regarder l’avenir sombre qui s’annonce. L’immobilisme est suicidaire pourtant.
Si notre très provincial gouvernement dirigé par un improvisateur en chef, ce gouvernement étriqué frisant l’incompétence crasse, ne nous donne pas envie de brasser quelque peu la cage, si nous sommes condamnés à un gouvernement bigleux, parce qu’une partie de l’électorat est prête à voter pour n’importe quel poteau libéral, que nous restera-t-il sinon pleurer sur notre médiocrité collective en comptant les bélugas qui restent?