
Pour ce troisième volet de mes billets sur les marchands de musiques, je m’attaque au critique, personnage fantasque et rare dans notre univers culturel. Sommité du bon goût vendable, le critique devrait, dans le meilleur des mondes, élargir les vues des masses de sa connaissance éclairante et lui faire découvrir de nouvelles musiques. Malheureusement, cela semble peu convenir à sa personnalité. Le plus souvent, il agit comme le maître sadique qui tend le biscuit à son chien en lui disant d’avance la saveur pour le priver d’une partie de son plaisir, celui de la découverte. Il est tant tellement au-dessus de la masse. Il sait « qu’ils ne peuvent pas comprendre » et préfère les laisser dans leur ignorance et nourrir cette ignorance de musiques à leur niveau.
Lire les chroniques de disques dans les médias généralistes, c’est un peu comme lire les ingrédients sur une boîte de céréales. On sait exactement ce qui s’y trouve, mais on s’étonne chaque fois de la quantité de sucre.
À la lecture, on remarque que les professionnels du disque sont plus conservateurs que les amateurs. Si le public n’a plus grand-chose à faire des disques et s’accommode bien de fichiers, le critique, lui, ne chronique que ce qui forme la masse volumique d’un cadeau posé paresseusement sur le coin de son bureau. Car le chroniqueur aime les cadeaux. Aussi quand les Beatles sortent un 100e boîtier intégral, on a droit à des dizaines de « reviews » qui ne nous disent pas grand-chose de plus que ce qu’on dit depuis le premier.
Dans nos feuilles de chou généralistes, la chronique des disques se résume à un étalage marchand. Dans chacun, les quatre mêmes albums (tous pop rock ou jazz soft, sauf exception, sexy) poussés par quelques agents de marketing fourbes jusque dans la plume du critique. Les découvertes sont aussi rares que les doctorants dans un gala de lutte. L’intensité de la flagornerie déterminera si le lecteur de La Presse achètera davantage la chanteuse blonde ou celui du Devoir, le chanteur barbu. Combien de sucre, déjà?
Chez le critique spécialisé, c’est beaucoup plus rigolo, et changeant selon la personnalité et le trouble obsessionnel du drille. Il y a le « grand découvreur », celui qui sait dénicher ce groupe finlandais que personne ne connaît, mais qui sonne étrangement pareil au dernier groupe anglais à la mode.
Il y a aussi celui qui parle inlassablement des mêmes musiques avec une rigueur lassante et qui suspecte toute dérivation stylistique. Il nous proposera d’acheter un autre disque de musique baroque (instruments d’époque) ou une énième réédition de Chet Baker en faisant mine que cela peut intéresser quelqu’un. Celui-ci s’adresse à d’autres connaissants qui savent déjà ce qu’il dit. Leur échange est spirituel et transcende le texte pour se loger dans une connexion cosmique. Nous ne pouvons nettement pas comprendre.
Le contenu des critiques
Environ 90 % des commentaires du critique concernent les qualités physiques, stylistiques, gestuelles ou charismatiques de celui qui a le nom écrit en gros sur la pochette, et très peu la musique. Lorsqu’il se risque à parler musique, il prend des détours. En voici quelques-uns afin de vous aider à vous y retrouver.
Le cliché métaphorique. Il est fréquent que le critique use de verbes afin de prêter à la musique des actions qu’elle n’oserait même imaginer. On en retient en gros que la guitare est lourde et que le clavier plane. Quand on dit « les arrangements sont soignés » (je ne savais même pas qu’ils étaient malades), il faut souvent lire : « comme le chanteur ne connaît pas vraiment les musiciens qui l’accompagnent, on a dû faire appel à un vrai compositeur de musique fonctionnelle pour enrubanner les ritournelles ». Dans la musique populaire, on aime l’emballage, comme à Noël, même s’il est golden et sonne comme la cavalerie et les pompiers, sans une miette d’inventivité.
La comparaison est aussi fréquente. Tout artiste est tantôt comme tel ou tel autre plus connu en moins ou en plus quelque chose. Argument quelque peu déstabilisant pour qui ne connaît pas le connu, soit.
Il y a encore mieux : la filiation. Combien de fois nous dit-on : « il a travaillé avec tel… », comme si la proximité du talent était garante de quelque chose. Peut-être en avait-il besoin plus qu’un autre?
Moi, mon boss s’appelle Marc.