
Je suis Blanche. Et trop souvent nous, les Blancs, avons pris la parole pour les autres, nous qui avons déjà tout nommé, tout classé, tout compris. De quoi avons-nous trop peur pour apprendre à écouter? Écouter autre chose que ce qui se dit entre nous depuis trop longtemps?
Kuei, je te salue, ouvrage épistolaire de Natasha Kanapé Fontaine et Deni Ellis Béchard à paraître prochainement aux Éditions Écosociété, s’attarde à un racisme ordinaire et ravageur, ancré dans notre société nord-américaine entre autochtones et allochtones. Un racisme construit sur des traumatismes du passé dont « on ne sait pas parler intelligemment ». On préfère plutôt garder l’autre à des siècles de soi, figé dans une figure folklorique, soit celle du Blanc « venu tout salir » ou celle de l’Amérindien « dangereux » auquel on « ne peut pas faire confiance ».
Pour « guérir notre inconscient collectif », Kanapé Fontaine, poète innue, et Béchard, essayiste québéco-américain, invitent à un voyage intérieur, pour regarder en face ses peurs, celles qui empêchent d’apprendre à écouter, celles qui font que « le monstre, c’est toujours l’autre, celui qui est différent ». Conversation sur le racisme est un appel au dialogue entre deux « peuples qui n’en peuvent plus de ne pas se parler, de ne pas savoir comment se parler », une incitation à ouvrir par la parole le mur de la peur érigé en garde-fou de nos croyances.
Dans les lettres de Natasha Kanapé Fontaine, la douleur est sourde, profonde, la « Blessure de la Colonisation » hante la mémoire collective. Les siècles de dépossession, de maladies, de pensionnats et de traités bafoués ont miné toute confiance envers les Blancs. Le passé fait mal et « le silence vient avec la blessure ». Ne reste alors que la peur. La peur d’être trahis à nouveau, celle qui paralyse. Puis la peur qui engendre l’insurrection, la crise, la violence. Et cette violence qui inspire à son tour la force, le courage de se tenir debout devant une nouvelle peur, plus urgente, celle que « l’amnésie collective qui a été créée délibérément par les gouvernements passés ait finalement raison de [sa] génération ».
Dans les lettres de Deni Ellis Béchard, les questions fusent, à la recherche de réponses à cette dichotomie du peuple québécois à la fois oppresseur et opprimé. Béchard décortique les mécanismes de mise en place d’un racisme systémique, de cette « grande subvention perpétuelle » qu’est d’appartenir à la société blanche. Reconnaître ce racisme fait peur, car « si on commençait à se poser des questions sur leur souffrance [aux non-Occidentaux], on serait obligé de se questionner sur les fondements de notre société » et ces questions entraînent une culpabilité immense. Il est alors plus facile de faire porter le blâme à l’autre et de ne reconnaître en lui que ce qui confirme qu’il représente un danger. Ainsi, « on pardonne les abus de sa culture et de ses ancêtres, mais aussi la perpétuation de ces abus à travers ses propres actions et paroles. »
Pour les deux auteurs, la littérature, celle qui encourage l’empathie par « l’accès aux vies intérieures des autres et nous permet de nous percevoir d’un point de vue différent », semble une solution à l’ostracisme historique. C’est cette empathie qui nous manque pour entrer réellement en contact, se donner accès à l’intime sans crainte de se faire écorcher et reconnaître la richesse des individus, ne plus faire porter de « masque grotesque » à l’autre. L’écriture permettra de guérir, permettra de se créer, mais pour trouver le chemin qui mène à l’autre, encore faut-il « rechercher en soi ces sentiers nécessaires pour les retrouvailles. » La peur de l’autre, c’est peut-être surtout la peur de soi.
J’ai souvent entendu l’expression « celui qui a Faim » pour décrire le Blanc : c’est l’image qui me vient aussi à l’esprit quand je pense aux grandes conquêtes. Mais pourrait-on utiliser cette faim pour aller à la rencontre de l’autre plutôt que pour accaparer la plus grande part du gâteau? La faim de la découverte, la faim curieuse qui se rassasierait tellement mieux de connaître que de piller.