Champ libre

Musique alternative ou marketing quétaine

Par Eric Normand le 2016/03
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Musique alternative ou marketing quétaine

Par Eric Normand le 2016/03

La musique est une industrie lucrative. Enfin, lucrative pour une poignée de grandes entreprises, pour les distributeurs, pour les marchands de disques. Dans une économie de marché, la création doit être une industrie et suivre les lois productivistes du marché. Les artistes doivent marcher sur un fil. Avoir le supplément d’âme voulu pour participer de la « culture », tout en satisfaisant aux exigences du marché.

Je propose ici une réflexion sur les effets de l’argent sur les contenus musicaux et sur la relation des artistes avec le public, tout en tentant d’imaginer de nouveaux modèles d’interaction, de création et de diffusion qui rendraient la musique plus vivante, en feraient un art qui invite à la curiosité, au partage, au respect de l’autre.

La musique est l’image saisissante d’une époque, d’un peuple, de ses peurs, de ses goûts. La musique nous dit ce que l’on cherche dans nos moments d’abandon. Le contrebassiste Ron Carter a dit qu’« une révolution musicale survient toujours avant un changement social ». Ben, si on veut que les choses changent, il va falloir se brasser un peu la cage.

La stratégie de l’alternative :
un peu d’histoire

Début 1990. Le monde s’emballe pour la « musique alternative ». Au Québec, on parle bientôt de « musique émergente ». À la même époque, le grunge autodestructeur de Nirvana est le succès de l’heure, musique dite « alternative » qui devient numéro un des profits des majors, musique abusée, instrumentalisée par l’argent. Avec son égocentrisme, son individualisme, on a cru que cette musique allait planter le clou dans le cercueil de son ancêtre punk nettement trop axé sur les révoltes collectives. Enfant de la génération cassette, j’ai côtoyé les musiques punk, no wave et une prolifération de petites étiquettes indépendantes, déjantées, qui sont tombées comme des mouches avec le passage au CD et à la musique alternative.

Nous avons alors vécu une des grandes révolutions du marché culturel : les publicitaires avaient enfin compris qu’il suffit de s’approprier un concept pour pouvoir vendre son exact contraire.

Ainsi, à partir de cette nouvelle nomenclature, l’industrie de la musique a clairement eu en tête de s’approprier le marketing de la différence afin de mieux vendre du semblable et faire la promotion de valeurs conservatrices sous le sceau de l’alternatif.

La différence a alors indéniablement perdu droit de cité au sein des programmes généralistes, se retrouvant confinée à des émissions spécialisées. On s’est mis, à travers ces émissions, à faire la promotion du conformisme, à définir l’alternatif comme un assemblage de genres particuliers, à le faire correspondre à de nouveaux publics et à reléguer au silence les plus audacieux. Sous les grands discours de diversité, on assiste à une uniformisation généralisée du contenu musical.

Internet : une autre manche

Lorsque, armés d’ordinateurs, les indépendants ont eu accès à de nouveaux outils de production et de diffusion, l’industrie l’a soudainement trouvé moins drôle, le discours de la diversité. On monta au créneau pour défendre les sacro-saints principes du droit d’auteur afin de contrer les nouvelles formes de distribution offertes par Internet et la perte du contrôle absolu de la distribution. On s’est mis à parler de « crise du disque » et à blâmer les consommateurs d’être de leur temps, de vivre la culture dans le partage et non plus sous l’égide d’un modèle capitaliste défraîchi.

On assiste alors à une nouvelle forme de diversité, celle de l’individu, du multiple. Ces plates-formes, moins encadrées, deviennent des mondes hétéroclites où se côtoient le pire et le meilleur, mais où s’ouvrent des fenêtres sur l’audace.

Selon moi, il est crucial, pour les artistes comme pour les amateurs, de s’approprier de nouveaux modèles d’expression, de nouveaux modèles d’entreprises et de modes de partage.

Je revendique un meilleur sort pour la musique. La musique est l’art de tous les sons. Je crois qu’il faut profiter des actuelles mutations pour refaire de la musique un espace de liberté et de questionnement. Si l’art tend à nous tenir à distance de la barbarie, le capitalisme nous y ramène au galop.

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