
Le Boucar que j’ai connu il y a près de 20 ans à Rimouski n’a pas beaucoup changé, sinon pour gagner sa propre confiance. Il porte toujours le même regard curieux et intelligent sur les gens et les événements. La première fois que je l’ai vu « en représentation », c’était au Rendez-vous des Grandes Gueules de Trois-Pistoles, alors qu’il avait remporté le 1er prix du concours de la plus grande menterie en 1999. Le monologue livré alors est devenu le thème de son premier spectacle solo, qui portait sur son intégration à notre culture… et au climat hivernal.
Mouton Noir – Tu es arrivé ici pour faire un doctorat sur la résistance au froid, ton premier monologue portait sur le choc thermique vécu en arrivant. Aujourd’hui, quel est ton rapport au froid, à l’hiver?
Boucar Diouf – Je ne suis pas un maniaque du froid, mais c’est la lumière qui me manque. Le blues d’hiver, je connais ça. Je viens de quitter ma lampe de luminothérapie pour te parler. Le froid a moins d’effet sur moi que le manque de lumière, mais je sais que beaucoup de Québécois vivent le même problème.
M. N. – Qu’est-ce qui a changé dans l’accueil des immigrants depuis ton arrivée au Québec?
B. D. – Aujourd’hui à Rimouski, c’est encore plus facile pour ceux qui arrivent! Il y a une épicerie africaine, des organismes, les structures d’accueil sont bien identifiées. À l’époque, avec Accueil et Intégration Bas-Saint-Laurent, on faisait des soupers, des soirées culturelles, on échangeait. Pour moi, c’est ça le bon vivre ensemble. À Montréal, on se retrouve chacun dans son petit coin. Les échanges, c’est beaucoup dans les régions du Québec. Au Saguenay, en Estrie, c’est super pour l’intégration. À Montréal, c’est plus difficile à identifier, les gens se replient dans leur communauté.
Ce qui fait que l’immigration fonctionne ou pas, c’est souvent à cause de la barrière de la langue. Un immigrant a besoin de travailler. L’intégration passe beaucoup par le travail. À Montréal, un utilisateur de banque alimentaire sur deux est immigrant.
C’est une grande chance que j’ai eue d’arriver à Rimouski. Si j’étais arrivé à Montréal, je ne serais pas le Boucar que je suis aujourd’hui. Arriver en région a facilité mes rapports avec les gens, parce que tu n’as pas le choix de t’intégrer à la collectivité.
M. N. – Quand tu as commencé à faire du spectacle, tu me disais avoir le syndrome de l’imposteur par rapport à ta famille, à ta culture, parce que tu t’appropriais le rôle du griot. Tu ne voulais pas que ta famille apprenne que tu faisais du spectacle. Qu’en est-il aujourd’hui?
B. D. – Ça n’a pas changé du tout pour ma famille, ils en savent très peu! Ma sœur qui est venue ici l’a vu, mais mes frères et mon père, non. Pour eux, je suis dans le monde du spectacle et ils n’ont aucun intérêt. Il y a deux ans, je suis allé animer un gala des Prix du cinéma francophone à Dakar et j’ai invité tous les membres de ma famille… personne n’est venu. Ce n’est pas leur monde. Je fais mes affaires et quand je retourne au Sénégal en vacances, je suis… personne! (dit-il, dans un grand éclat de rire). Personnellement, aujourd’hui, j’assume ce que je fais, mais pas au point de l’exposer dans ma famille. Ici par contre, oui, j’assume totalement le choix que j’ai fait de faire rire les gens, de faire le bouffon.
M. N. – Tu vas quand même au-delà du bouffon. Tu as su amener du contenu dans ton humour, la science est très présente dans ce que tu fais.
B. D. – Oui et ça, j’y tiens beaucoup. J’ai commencé à faire des blagues en faisant de la vulgarisation scientifique, on appelait ça « les boucardises ». C’est dans la bio que l’humour a commencé pour moi. Je me suis ennuyé de la biologie et je suis content de pouvoir y revenir, comme je le fais dans mon dernier spectacle qui mêle bio et humour. C’est aussi ce que je fais à la radio, avec La nature selon Boucar.
M. N. – Ton dernier spectacle, Pour une raison X ou Y, c’est ce qu’on verra à Rimouski?
B. D. – Oui! On n’a fait pratiquement aucune publicité pour le show, c’est à guichets fermés partout, juste avec le bouche-à-oreille. Ça fait six ou sept fois qu’on le fait au Grand Théâtre de Québec. Je l’ai fait une seule fois à Rimouski, donc plusieurs ne l’ont pas vu.
M. N. – Tu utilises beaucoup la figure du sage, du grand-père dans tes spectacles et, depuis que tu écris aussi dans les journaux, c’est ta voix qui est souvent citée comme étant celle du sage. Tu vis ça comment?
B. D. – C’est très difficile, je mets tout ça dans la bouche de mon grand-père! Je ne suis pas sage, j’aime le conte et la poésie, je suis un amoureux des mots, un raconteur d’histoires. Je pense que je suis plus curieux que sage.
Celui qui, il y a quelques années, était arrivé sur scène au Lion d’Or à Montréal, pour un cabaret du Mouton Noir, en prenant la pose officielle – menton accoté sur ses bras croisés, lunettes fumées sur le nez – en disant qu’il venait de remporter le concours de mascotte, est toujours un allié fidèle. On pourra le voir sur scène pour les 20 ans du Mouton Noir, le vendredi 25 mars 2016, à la salle Desjardins-Telus de Rimouski.