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L’analyse symétrique de l’égalité : de la poudre aux yeux!

Par Ève Devault le 2016/03
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L’analyse symétrique de l’égalité : de la poudre aux yeux!

Par Ève Devault le 2016/03

Fin janvier 2016, une statistique surprenante sort dans les médias : les hommes seraient tout autant victimes de violence conjugale que les femmes. Les données proviennent de l’enquête sociale générale sur la victimisation de Statistique Canada. Ces chiffres viendraient, selon certains médias, déconstruire des soi-disant « mythes » voulant que les femmes soient davantage victimes de violence dans la société.

L’objet de la présente réflexion n’est pas de revenir sur les statistiques – pour finalement se rendre compte qu’il y a eu dans certains médias un manque de rigueur quant à l’interprétation des résultats ainsi qu’un manque de contextualisation –, mais plutôt de discuter de cette tendance qu’ont plusieurs groupes et personnes à ramener aux hommes des enjeux qui sont à la base plus propres aux femmes, comme la violence. Cette tendance fait référence au principe de symétrisation, qui repose sur l’équivalence des situations particulières vécues par les hommes et les femmes. La symétrisation est largement diffusée par l’idée que « les hommes aussi subissent de la violence » sans tenir compte du contexte, de la nature des agressions et des raisons pour lesquelles les femmes sont essentiellement celles qui subissent la violence dans la société. Le principe de symétrisation contribue en ce sens à banaliser le phénomène de la violence à l’égard des femmes.

Ce type de discours, qui soutient qu’il n’y a pas de différence entre la violence faite aux femmes par des hommes et la violence que les hommes peuvent subir de la part des femmes, est préoccupant parce qu’il banalise et relativise la violence masculine tout en masquant les inégalités et les rapports de pouvoir qui avantagent les hommes. Ce discours se normalise, sans que l’on se rende compte qu’en réalité, on participe à une forme de déni face aux discriminations systémiques que vivent les femmes. La symétrisation est un terrain glissant, parce qu’en soi, mettre sur le même plan les réalités que vivent les femmes et celles que vivent les hommes, c’est non seulement réduire la lutte que font les groupes de femmes dans le quotidien pour l’amélioration de la condition féminine, mais c’est aussi participer à délégitimer chacune des femmes qui prend la parole pour dénoncer les inégalités dont elles sont l’objet quotidiennement.

Là où on doit réellement s’inquiéter, c’est quand la ministre responsable de la Condition féminine puise à même ce discours de symétrisation de l’égalité. Le 3 septembre dernier s’arrêtait à Rivière-du-Loup le Forum itinérant en matière d’agression sexuelle, initiative gouvernementale consultative ayant pour but d’inspirer le troisième plan d’action spécifique en matière d’agression sexuelle. Ce forum faisait suite au mouvement #AgressionNonDénoncée, qui a mis en lumière l’importance du problème de la violence sexuelle que vivent les femmes. La ministre Stéphanie Vallée a conclu la journée en faisant référence au manque de ressources en violence sexuelle pour les hommes.

Pourquoi cette affirmation en a-t-elle laissé plusieurs sur leur faim? La violence sexuelle est une des manifestations les plus concrètes de l’inégalité entre les femmes et les hommes. Quand on parle d’agression à caractère sexuel, c’est une femme sur trois qui sera victime de cette forme de violence à partir de l’âge de 16 ans (Sécurité publique, 2004), contre un homme sur six. Certains groupes de femmes sont encore plus vulnérables aux inégalités. À titre d’exemple, 80 % des femmes ayant une déficience intellectuelle seront victimes d’agression sexuelle (Association du Québec pour l’intégration sociale, 2015). Dans les communautés autochtones, c’est plus de 75 % des jeunes filles âgées de moins de 18 ans qui ont été victimes d’agressions sexuelles (Sécurité publique, 2004).

Pas que les hommes ne vivent pas de violence sexuelle. Pas qu’ils n’ont pas besoin de ressources. Oui, les hommes vivent des injustices sociales, à l’instar des femmes, liées aux systèmes d’oppression que l’on connaît : le racisme, le colonialisme, l’homophobie, etc. Oui, les hommes vivent des difficultés sociales spécifiques qui doivent être prises au sérieux. Mais la violence sexuelle que subissent les femmes est, elle, directement liée au système patriarcal et au sexisme, dont les hommes en tant que groupe social sont les privilégiés, et non pas les victimes (Surprenant, 2016).

Conclure une journée de réflexion sur les agressions à caractère sexuel en faisant appel à cette conception horizontale des inégalités entre les femmes et les hommes revient à un manque de vision et de pertinence, parce qu’un élément central de réflexion manque : l’analyse des rapports sociaux de sexe. Et il me semble que l’on peut s’attendre d’un ministère responsable de la Condition féminine qu’il cadre ses réflexions dans une analyse sociopolitique minimale! Pour les groupes de femmes, c’est aberrant de voir une ministre responsable de la Condition féminine si peu sensibilisée aux enjeux féministes et l’inquiétude est grande quant aux impacts de ce discours sur les politiques gouvernementales et le plan d’action que nous attendons en matière d’agression sexuelle : l’approche intégrée de l’égalité sera-t-elle préférée à celle de l’approche spécifique? Quel impact cela aura-t-il sur nos luttes féministes? Il faudra certainement demeurer vigilantes devant cette tendance de la symétrisation et continuer, comme nous le faisons déjà, à travailler à faire connaître et reconnaître le problème social de l’inégalité entre les femmes et les hommes.

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