
La migration renvoie à une multitude d’images marquantes, que ce soit la crise en Syrie, la création du Pakistan, les déportations des Acadiens ou, dans un futur lointain, l’île de Tuvalu au milieu de l’océan Atlantique qui sera submergée, laissant une population entière apatride. Alors que ces migrations semblent éloignées et abstraites, elles amènent dans la sphère sociale l’enjeu de l’identité et du rapport à l’Autre. Comment se passe cette transition dans le vécu et comment, en tant que société, nous accueillons cette souffrance?
Selon Boris Cyrulnik, psychiatre et psychanalyste français, il existe deux types de migration, la migration choisie, qu’il qualifie d’heureuse, et la migration contrainte ou forcée. La migration choisie représente celle d’un individu qui décide de partir vivre ailleurs. Cette migration représente une aventure nouvelle. Il y a généralement une plus grande ouverture de la personne et de la société d’accueil. La migration contrainte représente quant à elle celle de l’individu qui est forcé de quitter son pays pour des causes de conflits, de guerres, de changements climatiques, etc. L’intégration de cette personne se fait difficilement puisqu’elle ne sait pas si elle va rester longtemps dans le pays d’accueil, elle fait face aux barrières culturelles et elle peut subir un stress post-traumatique résultant de ses expériences passées. La personne éprouve souvent de la difficulté à aller chercher de l’aide et du soutien à cause des barrières culturelles, linguistiques et de la crainte du jugement par rapport aux problèmes de santé mentale. Par conséquent, les nouveaux arrivants vont souvent intérioriser leurs difficultés. Les enfants de ces nouveaux arrivants, les immigrants de 2e génération, vont généralement vivre un questionnement identitaire, car ils auront vu leurs parents se taire et ils doivent prendre leur place au sein de la société. La migration peut donc être une source de souffrance émotionnelle et on peut se demander comment cette souffrance est accueillie au sein du pays hôte1.
Le champ de la psychiatrie tente d’intégrer l’aspect culturel dans la santé mentale à travers le courant de la psychiatrie culturelle, issu des années 1970. Ce courant s’efforce d’inclure les particularités propres à une culture à l’universalisme que représente le diagnostic. Un des exemples est le « syndrome propre à la culture » qui répertorie les pathologies mentales propres à un groupe ethnique ou à une aire géographique. Cependant, « socialiser le symptôme » ou le « codifier » pose plusieurs difficultés. D’une part, on peut remettre en question les critères à travers lesquels le symptôme est considéré comme issu du social. Dans la psychiatrie actuelle, la recherche du diagnostic est un incontournable, mais il peut faire perdre l’essentiel, soit la trajectoire, le contexte et l’histoire de la personne immigrante. D’autre part, le fait de « codifier » le symptôme oblige la personne qui cherche de l’aide à adapter son langage pour cadrer avec la sphère institutionnelle2. Les conséquences possibles des limites du champ de la psychiatrie actuelle sont une mauvaise perception de la souffrance émotionnelle ou de l’exclusion des personnes qui ont des difficultés d’adaptation et qui peinent à recevoir un soutien dans des conditions difficiles.
Les organismes communautaires et alternatifs en santé mentale représentent ainsi une bonne porte d’entrée pour les personnes vivant avec un problème de santé mentale et surtout pour les personnes qui échappent au réseau de la santé, car ils valorisent une approche basée sur l’entraide et l’accueil de la personne avec ou sans diagnostic. Ces organismes visent à favoriser les conditions d’une bonne santé mentale en travaillant notamment au développement de la confiance en soi et aux autres pour s’adapter aux situations difficiles. Ces organisations jouent aussi un rôle dans le développement du sentiment d’appartenance. Plusieurs organismes sont des milieux de vie où se développent des projets communs dans une perspective de changement social, ce qui contribue au sentiment d’appartenance de l’individu à sa communauté.
Lorsqu’il est question de la santé mentale des migrants, il est nécessaire de ne pas perdre de vue l’humain à travers la recherche d’un diagnostic et de reconnaître le travail des organismes qui œuvrent à réduire la peur de la différence tant chez la personne immigrante que dans la société d’accueil.
1. Boris Cyrulnik, « Migrations et santé mentale, migrations futures ». Entrevue avec Charles-Antoine Rouyer, 2013.
2. C. Gard, « Migration et santé mentale: quelques enjeux politiques et cliniques de la psychiatrie contemporaine », L’information psychiatrique, vol. 91, 2015.
L’auteure est agente de liaison au Regroupement des organismes communautaires et alternatifs en santé mentale du Bas-du-Fleuve (ROCASM-BF). Le ROCASM-BF a entre autres pour mission de promouvoir l’approche alternative en santé mentale dans la région du Bas-Saint-Laurent.