Rarement le pauvre peuple dont nous sommes aura-t-il été soumis à deux visions aussi diamétralement opposées, chacune prétendant pourtant s’abreuver aux mêmes sources et s’affichant comme le fruit du même soi-disant génotype libéral.
De ce côté de la rivière des Outaouais, et des confins de l’Abitibi jusqu’aux rouges falaises de la Gaspésie, Couillard et sa bande continuent leur œuvre de sape, une coupe à blanc telle qu’on en a rarement vu dans notre histoire récente. Mais tout comme la mémoire peut être sélective, ces fossoyeurs du bien commun font aussi des choix et alors que la situation financière du Québec est supposément catastrophique et les goussets de l’État percés comme un bas de laine amoché, ils parviennent tout de même à décaisser quelques milliards quand les bons amis sont dans le trouble. Nonobstant ce léger accroc, le déficit zéro est devenu pour ces idéologues la panacée qui réglera tous nos maux, même si, au bout du compte, il ne subsistera plus un seul patient dans ce vaste mouroir que gèrent si habilement ces docteurs du XIXe siècle qui croient toujours que la saignée est le seul remède qui puisse venir à bout de toutes les maladies imaginables.
Pendant ce temps, à Ottawa, on ne s’enfarge pas dans ce genre de fleurs de tapis. Aux antipodes de la pensée des gestionnaires de la succursale provinciale, les libéraux fédéraux crachent sur l’austérité avec dédain, prétendant au contraire qu’il faut ouvrir les vannes et injecter massivement du sang neuf dans ce grand corps malade que les spasmes et les convulsions albertaines sont en train de mener à mal.
Mais méfions-nous, le diagnostic qu’on pose en catimini dans les officines du pouvoir, que ce soit à Québec ou à Ottawa, pourrait bien s’avérer le même. Il faut absolument que cette bile qui s’accumule à Fort McMurray puisse trouver un canal d’évacuation quelconque, avant qu’elle n’empoisonne les saines relations d’amour qui existent au sein de cette fédération et afin que l’or noir qu’on y bituminise vienne ragaillardir une économie en panne d’essence.
On en voit déjà l’ombre se profiler, les grandes tractations sont en cours, le gourdin de la péréquation a été brandi comme une arme de destruction passive et, partout encore une fois dans le ROC, comme si on avait besoin d’un nouveau prétexte, les Québécois sont décriés comme des enfants gâtés, des emmerdeurs, des fauteurs de trouble, des empêcheurs de tourner la fédération en rond. Mais voici qui pourrait dénouer la crise : d’accord pour les milliards accordés à Bombardier, et vous ferez bien ce que vous voudrez de vos fichus chevreuils de l’île d’Anticosti, mais vous allez nous autoriser à passer notre oléoduc par chez vous, par exemple!
Monsieur Couillard contemple le ciel. Il sera parvenu à sauver le Québec de la faillite. Pourquoi, lui, le fédéraliste à tout crin et au grand cœur, ne deviendrait-il pas le héros magnifique qui aura aussi permis au Canada de sortir de la dèche et de la turpitude! Quel beau panache à ajouter à son tableau de chasse! D’autant plus qu’il sait pertinemment qu’avec la division qui règne au sein de l’opposition, la franchise provinciale de son parti peut s’afficher avec fierté, et pour longtemps, comme le Tim Horton de la politique québécoise, face à une concurrence à la Dunkin Donuts dont le trou du beigne s’est auto-avalé.
La mémoire est sélective, et elle a la vue courte. Si le Parti québécois est parvenu à prendre le pouvoir en 1976, c’est certes que la conjoncture était favorable et qu’il y avait dans le décor un homme charismatique de la stature d’un René Lévesque qui en imposait. Mais un difficile travail de coulisses, de longue haleine, avait été amorcé en amont, lequel avait amené le RIN et le Ralliement national à se saborder ou à se fondre au Mouvement souveraineté-association, ancêtre du PQ. Diviser pour régner, la stratégie mise au goût du jour par Machiavel était déjà pratiquée par les Grecs et par les Romains.
Son contraire est aussi vrai : tant que nous serons divisés, nous ne régnerons pas. Et on pourra indûment nous passer n’importe quoi. Même un pipeline dont nous n’avons rien à cirer.