
Si chacun a son histoire, les pauvres aussi en ont une. Mais ont-ils seulement le droit d’être heureux?
Alors qu’ils arrivent à peine à manger à leur faim après avoir payé le logement, le téléphone et l’électricité.
Pas plus que, faute de moyens, ils n’ont accès à des produits en grandes quantités, alors que les petits formats sont souvent proportionnellement plus chers.
Parce qu’au Québec, se vêtir de vêtements appropriés au climat est un luxe dont tous ne peuvent se prévaloir.
Parce qu’ils n’ont pas accès aux meilleurs rabais dans les magasins, ceux-ci étant offerts lorsqu’ils n’ont plus d’argent.
Parce qu’ils doivent parfois se procurer des biens essentiels en payant des taxes, alors que de richissimes industries en sont exemptées; eux qui auraient bien droit à des déductions d’impôt, encore faudrait-il qu’ils aient quelque chose à déduire…
Parce qu’ils paient des frais bancaires déraisonnables qui risquent de laisser leur compte à découvert.
Que, dans certaines institutions, se procurer des chèques devient fastidieux tant les chèques sont coûteux et parfois non disponibles en petite quantité.
Si des forfaits sont fort avantageux, des frais de 50, 35, 5 et même 1 $ peuvent avoir une incidence vitale.
Quand on leur refuse de partager un logement sans qu’ils éveillent toutes les suspicions.
Quand ils ne peuvent se permettre d’être amoureux sans mettre leur survie en péril.
Quand ils ne peuvent conserver leur maison lors d’une demande d’aide de secours, alors que déménager serait plus coûteux.
Parce qu’on les accuse tacitement d’être lâches, malhonnêtes et sans ambition, que sur eux, repose, d’un mois à l’autre, le fardeau de la preuve. Ils sont trop souvent tenus comme criminellement responsables de leur condition.
Quand c’est eux qu’on tient responsables de la dette chaque fois qu’un budget national est présenté et qu’on ajoute ainsi l’insulte à l’injure.
Parce que lorsqu’ils prennent soin de jeunes enfants ou qu’ils deviennent proches aidants, le soutien financier consenti est insuffisant, dévaluant ainsi la valeur de l’acte, même si c’est plus rentable pour l’État.
Parce qu’ils sont disponibles pour le bénévolat même s’ils n’en retirent rien.
Parce qu’on les prive d’une attention personnelle lorsqu’on traite leur dossier qui passe d’une main à l’autre dans une bureaucratie automatisée et sans âme.
Parce que leur honte, la rudesse de leur vie et l’intimidation insidieuse amplifient leur vulnérabilité et hypothèquent leur santé.
Parce qu’avec leur teint hâve, leurs carences et leur allure un peu glauque, même s’ils étaient heureux, ils n’en auraient pas l’air.
Comment évoquer l’idée du bonheur, alors que le sentiment heureux n’est qu’un flou évanescent aussi précaire que sa survie.
Peu importe qu’ils soient érudits, vaillants, honnêtes ou de bonne volonté, ils se sentent comme des parias… et servent de boucs émissaires budgétaires et d’exutoires préjudiciables dans le discours public. Et pendant ce temps, les pauvres n’arrivent même pas à couvrir leurs besoins de sécurité à la base de la pyramide de Maslow.
Pour des raisons évidentes, le paupérisme2 enfonce le clou de la misère et pousse à l’isolement.
Il y a dans l’inconscient collectif les expressions « gagner son pain » et « gagner sa vie » dont le fond religieux perverti va à l’encontre des valeurs orthodoxes de compassion et de respect envers le pauvre… ou le riche.
1 Phénomène social caractérisé par un état de pauvreté endémique d’une partie de la population.