Tout le monde s’entend : la grande majorité des municipalités du Québec fait face à des responsabilités qui ne cessent de s’accroître alors que les moyens financiers pour les assumer ne suivent pas. Ce qui est malheureux, c’est que pour une deuxième fois en deux ans, ce sont encore et uniquement les travailleuses et les travailleurs municipaux qui en paieront le prix.
Rappelons-nous l’automne 2014. Brandissant le spectre d’un déficit monstrueux de 4 milliards de dollars des régimes de retraite municipaux du Québec, Pierre Moreau, empressé de faire plaisir aux maires Coderre et Labeaume, leur a donné ce qu’ils voulaient. En adoptant la loi 15 (auparavant connue comme le projet de loi 3), on procédait unilatéralement à la réouverture rétroactive des conventions collectives dûment négociées pour obliger les travailleurs à assumer 50 % des déficits présents, passés et futurs et on interdisait formellement à tout régime de retraite de promettre une indexation aux retraités.
Conséquence? Appauvrissement des retraités et rémunération globale des salariés à la baisse. On apprendra quelques semaines après cette adoption que le déficit réel des régimes de retraite municipaux était de 2,6 milliards au lieu de 4 milliards. Le SCFP, principal syndicat dans le secteur municipal, estimait le déficit à 2,5 milliards. Il avait donc raison. Il aura également raison d’ici quelques années, puisque des dizaines de contestations de cette loi sont devant les tribunaux, et, selon l’avis même de plusieurs procureurs et juristes, plusieurs éléments de la loi seront déclarés inconstitutionnels : ils briment le droit à la libre négociation!
Mais voilà que le gouvernement en rajoute. Trouvant, encore, que les employés municipaux sont des « gras durs » (rappelons à cet effet que la rente de retraite moyenne d’un col bleu à Montréal est de 24 000 $ par année, imaginez les autres…), le gouvernement, pour se faire pardonner de couper 300 millions de dollars en transfert aux municipalités dans le nouveau « pacte fiscal », s’engage à ouvrir le Code du travail et à revoir le régime de négociation des conventions collectives du secteur.
Ainsi, après une négociation dite « de bonne foi » (allez chercher selon quels paramètres la « bonne foi » se mesure), une municipalité qui n’aurait toujours pas d’entente avec ses travailleuses et ses travailleurs pourrait décréter les conditions de travail applicables; un déni pur et simple du droit à la négociation. Bien qu’attrayant en apparence, à terme, cet exercice honteux pourrait coûter cher aux municipalités, particulièrement en région.
Dans les villes et les municipalités de plus petite taille qui composent la majorité de nos régions, les liens sont souvent plus serrés, voire intimes. Le travailleur municipal n’est pas forcément un numéro de dossier au service des ressources humaines. Il est une personne que les élus municipaux croisent hebdomadairement sur les lieux de travail, à l’épicerie, parfois dans leur propre famille! La situation risque de corser les relations et d’envenimer le climat de travail souvent fragile.
Dans ces mêmes villes et municipalités, les travailleuses et les travailleurs gagnent de 10 à 30 % moins que pour des emplois comparables dans les grandes villes. Diminuer davantage leur rémunération, en plus d’affecter l’économie locale (ce sont aussi des consommateurs), risque d’en inciter plusieurs à changer d’emploi ou à chercher un emploi semblable au privé. Lorsque la municipalité ne trouvera plus aucun chauffeur de déneigeuse à 19 $ de l’heure, à quel prix peut-on s’attendre à ce qu’une compagnie du secteur privé soumissionne? Certainement le double, sinon le triple! Quelle compagnie (s’il y en a plus d’une, ce qui n’est pas toujours le cas) sera retenue pour l’octroi du contrat? Sous quels paramètres? N’avons-nous rien appris de la commission Charbonneau? Désirons-nous réellement créer un contexte qui favorisera l’augmentation de la part de l’entreprise privée dans nos services municipaux?
Une chose est claire : les organisations syndicales sont prêtes à contester ce projet de loi, autant dans la rue que devant les tribunaux. Encore une fois, c’est le type de législation qui risque fort d’être invalidé par les tribunaux. Mais le mal sera fait, le chaos, semé. On laisse encore aux futurs gouvernements provinciaux et municipaux l’odieuse tâche de remettre la pâte dentifrice dans le tube alors qu’elle en sera déjà sortie.
On se demandera si le gouvernement avait pensé à ces « détails ». La réponse est oui, et il n’en a rien à cirer! Dans deux ans, trop de personnes risquent d’avoir oublié ce triste épisode des relations de travail, au cours duquel plus des trois quarts des municipalités du Québec se seront résignées, sans aucune forme de contestation, à signer « le pacte de la honte ». À nous de le leur rappeler.